Teo Schifferli

Je voulais vous emmener au Maier bar. Il est assez bien, mais il n’ouvre qu’à 19 h. Mais ici, j’aime bien ! (nous sommes au café Derby) C’est là depuis toujours et ouvert jusqu’à 4 h du mat’, même le dimanche. L’ambiance, c’est un peu des vieux qui jouent aux cartes, mais j’aime bien…

Propos recueillis par Selma Farhan, Tina Gabriel et Sebastian Gross
Bachelor Design Graphique

Portrait d’Hugo Plagnard
Bachelor Photographie

Teo Schifferli est un designer qui a grandi à Zurich. Après le gymnase, il y commence une formation en histoire de l’art, mais le système universitaire ne lui convient pas. Il se lance alors dans le Bachelor Design Graphique à l’ECAL, qu’il termine en 2011. Il collabore ensuite avec quelques amis dans l’espace STUDIOLO, à Zurich, et travaille parallèlement chez NORM, trois jours par semaine. Ce qui lui permet de développer des projets personnels et notamment d’éditer des livres pour Patrick Frey, ainsi que des livres d’artiste. Teo Schifferli reçoit en 2016 un Swiss Design Award avec la publication 69 96, qui séduit le jury par sa manière de représenter le travail d’artistes, choisis par le curateur américain Bob Nickas et le conservateur suisse Fredi Fischli.

OfflineTu connais bien Zurich ?

T. SchifferliOui, je suis né ici, j’ai grandi ici.

OfflineEt Lausanne ?

T. SchifferliJ’ai passé quatre ans à l’ECAL. Et je suis revenu ici.

OfflineUn restaurant à nous conseiller ?

T. SchifferliEn fait, à Zurich, tu manges vite cher. Du coup, niveau restaurant, y en a un, Friends Corner (Josefstrasse 140, 8005 Zurich). C’est indien, hyper bon et tu paies 15.– CHF le plat.

NORM c’était cool ! Avec eux, tu ne peux qu’utiliser des tailles de typo hyper précises, sinon ça rentre pas dans la grille.

OfflineGraphiste chez NORM, ça s’est bien passé ?

T. SchifferliOuais, chez NORM c’était cool ! Ils sont chanmé ! [Teo dit souvent « cool », « chanmé », « hyper » ou « hyper nul »] Tu apprends beaucoup. Tu dois être hyper précis. T’as presque pas de chance de faire des fautes, car tout est calculé. Avec eux, tu ne peux qu’utiliser des tailles de typo hyper précises, sinon ça rentre pas dans la grille.

OfflineD’où vient ton intérêt pour le design éditorial ?

T. SchifferliMon père collectionne les livres, beaucoup de livres. Des livres d’art, de photo, pas vraiment de graphisme. J’ai eu la chance de grandir au milieu des livres.

OfflineUn designer que tu admires ?

T. SchifferliIl y en a beaucoup… J’aime bien Maximage, j’ai travaillé avec eux. J’aime leur manière de travailler, de faire des projets par eux-mêmes.

OfflineQuand ta carrière en tant qu’indépendant a-t-elle commencé ?

T. SchifferliJ’ai eu la chance que deux amis ouvrent STUDIOLO – une galerie qui n’existe plus, mais qui a duré deux ou trois ans. On avait un deal avec Patrick Frey : il nous donnait carte blanche pour faire des livres et on a donc créé cette série STUDIOLO/Edition Patrick Frey. Ensuite, les projets s’enchaînent et tu commences à créer un début de réseau.

OfflineLe livre dont tu es le plus fier ?

T. SchifferliJe sais pas… Beaucoup sont bien dans leur approche, mais je ne les aime plus trop maintenant. Il n’y a pas forcément de projet que je préfère, j’essaie de faire plein de trucs différents.

OfflineUn projet sur lequel tu veux travailler ?

T. SchifferliC’est peut-être standard, mais j’aimerais bien faire une typo. Je pense qu’il faut que j’attende d’avoir vraiment une idée, un concept, et ne pas faire n’importe quoi.

OfflineSur quoi tu bosses en ce moment ?

T. SchifferliJe fais un livre avec un artiste, Emil Michael Klein, c’est le deuxième.

OfflineEn tant que graphiste, c’est mieux d’être à Zurich ou Lausanne ?

T. SchifferliLausanne c’est bien pour aller à l’ECAL, mais en dehors de ça… Zurich c’est mieux, les institutions sont partantes pour demander à des jeunes d’expérimenter. Lausanne c’est plus petit, il y en a beaucoup moins et elles pensent « à l’ancienne », sans forcément vouloir essayer de nouvelles choses…

OfflineQuelle est ta perception du livre d’artiste ?

T. SchifferliPar exemple, pour Andreas Dobler, un peintre zurichois grand fan de science-fiction, avec Thomas Petit on a fait ce livre qui reprend ses toiles pour en faire des bandes dessinées. On a prêté attention aux intérêts propres de l’artiste. Ça donne une idée de base qu’il faut ensuite pousser jusqu’au bout. C’est une approche qui peut faire polémique ; les gens détestent ou adhèrent. Après, il faut toujours être en accord avec l’artiste, mais on regrette rarement d’avoir repoussé les limites d’un projet.

OfflineSans s’éloigner du concept de base…

T. SchifferliOui. Par exemple, j’ai collaboré avec un artiste qui travaillait sur la matière, le cuir. D’abord, on a pris des photos afin de faire ressortir le matériau. Ensuite, on a essayé d’éliminer les détails et de créer des textures nouvelles en retouchant les niveaux des images sur Photoshop. Ça donne l’impression que la texture s’est vraiment imprégnée dans la page. L’idée peut paraître étrange, mais finalement l’objectif c’est de mettre son travail en valeur.

Prendre des risques, c’est ajouter une dimension plus stimulante au travail, mais c’est aussi un nouveau point de vue sur le travail de l’artiste. Je veux interpréter, pas simplement montrer.

OfflineIl faut donc prendre des risques ?

T. SchifferliExactement. On aurait pu simplement montrer les détails des œuvres en couleur, mais ça aurait été hyper nul [sic]. Prendre des risques, c’est ajouter une dimension plus stimulante au travail, mais c’est aussi un nouveau point de vue sur le travail de l’artiste. Je veux interpréter, pas simplement montrer. Même si « montrer » est une approche intéressante, ce n’est pas celle que je privilégie.

OfflineAlors, où est la limite entre ton travail et celui de l’artiste ?

T. SchifferliLe livre est un objet indépendant du travail de l’artiste. Tu peux élaborer un concept qui s’éloigne un peu des œuvres de l’artiste, tout en utilisant, par exemple, une technique d’impression propre à l’artiste pour finaliser l’objet. Il faut rester proche des intérêts de l’artiste, tout en restant libre comme on peut l’être par exemple quand on est étudiant. Maintenant que je suis indépendant et que je travaille avec d’autres artistes, j’essaye de garder cette liberté. C’est une espèce d’entre-deux, dans lequel je trouve un équilibre.

Articles liés