Nicolas Nova

Imaginer des « design fictions » permet à Nicolas Nova de penser les développements du digital en situation, combinant le virtuel que nous connaissons à une prospective teintée de science-fiction.

Propos recueillis par Erika Marthins et Elise Migraine
Bachelor Media & Interaction Design

Portrait d’Anaïs Leu
Bachelor Photographie

OfflineComment vous êtes-vous intéressé au design et aux nouveaux médias ?

N. NovaJ’ai toujours été un utilisateur de médias numériques : jeux vidéo, premiers ordinateurs personnels… Dans les années 1980, en France, quand j’avais 10 ans, j’utilisais le Minitel, un mélange d’ordinateur et de téléphone qui permettait de communi­quer en réseau, de télécharger des jeux… ce qu’on connaît aujourd’hui sur Internet, sauf que ce n’était que du texte. J’ai toujours ce questionnement : que peut-on créer avec ces machines pour qu’elles soient plus que des objets utilitaires ?

OfflineQuelle a été votre formation ?

N. NovaJ’ai suivi des études en sciences cognitives, qui regroupent un ensemble de disciplines qui vont de la psychologie linguistique à l’intelligence artificielle, aux neurosciences, à la biologie, et qui s’intéressent à la manière dont notre cerveau fonctionne, mémorise, perçoit et comprend. Cette question m’interpelle particulièrement parce qu’elle interroge le lien avec les technologies. Comment cela nous affecte et influence notre fonctionnement cognitif, et comment ces objets technologiques changent notre façon de vivre. Comprendre cela permet de mieux les concevoir, et cela m’a amené au design.

OfflinePourquoi avez-vous souhaité enseigner ?

N. NovaJe ne suis pas designer moi-même et je ne le revendique pas du tout ; je suis plutôt une sorte de sociologue des usages, d’anthropologue du numérique. Comprendre ce que signifie vivre avec tous ces nouveaux médias permet ensuite d’aider les designers à concevoir des produits et des services qui peuvent se révéler intéressants. C’est-à-dire pas forcément destinés à remplir un nouveau besoin, mais à questionner la société.

OfflineComment définiriez-vous le Media & Interaction Design ? Pour expliquer nos études, nous utilisons le terme « nouveaux médias » pour être comprises.

N. NovaLe design produit, c’est simple : on fait un produit, une chaise, une table… Le design graphique, c’est simple aussi, mais la rupture est apparue avec les NTIC [nouvelles technologies de l’information et de la communication]. Concrètement, le fait de pouvoir numériser l’information couplé à des technologies de communication. Et dans ces possibilités nouvelles, le degré d’interaction est beaucoup plus élevé. Autrement dit, un ordinateur qui permet de programmer un monde virtuel dans lequel les gens se déplacent et jouent constitue un degré de complexité plus élevé, qui crée une expertise nouvelle. Maintenant, il y a une différence entre un programmeur, un informaticien et un ingénieur, qui ont chacun un point de vue sur la résolution des problèmes et des enjeux technologiques. Le rôle du designer sera de définir ces inter­actions, d’où le terme «design d’interaction».

OfflineAvec les nouveaux médias, on assiste à une créolisation (1) des médiums, mais le contenu s’enrichit-il pour autant ?

N. NovaJe viens justement de terminer un livre (2) sur le sujet avec Joël Vacheron, qui enseigne également à l’ECAL. On pourrait parler de cette forme de créolisation avec les « émojis », ces gifs animés qu’on ajoute dans les conversations WhatsApp. Est-ce une uniformisation ? C’est une question complexe. Le problème de l’uniformisation des contenus est davantage lié au modèle économique des sites, qui croisent profils et aspirations des internautes avec des publicités ciblées qui apparaissent de manière algorithmique. Le risque étant de produire des contenus séduisants, aux seules fins publicitaires.

OfflineOn peut aussi rencontrer des contenus plus poétiques ?

N. NovaJe suis effectivement fasciné par les bots sur Twitter ; ces petits programmes informatiques dont les contenus ne sont pas produits par les humains, mais créés à partir de bouts de contenus récupérés sur le Web. Ce n’est pas le nouveau Victor Hugo, mais parcourir cela nous donne des indications intéressantes sur la nouvelle manière de produire un contenu en rassemblant différentes sources d’information.

OfflineLe fonctionnement d’Internet ne conduit-il pas nécessairement à une certaine uniformisation ?

N. NovaIl y a un sentiment d’uniformisation en surface qui est réel, un peu comme le syndrome des McDo omniprésents, à côté il y a aussi beaucoup de petits restaurants ! On pourrait faire l’analogie avec le Web. Les Amazon France, Allemagne, Angleterre et Etats-Unis, en surface ça se ressemble, les best-sellers sont là, mais à côté on trouvera toutes sortes de choses. Et c’est là que l’éducation a un rôle important à jouer, notamment par toutes les personnes travaillant dans les nouveaux médias. C’est à eux de montrer ces autres types de contenus.

On est entré dans une économie de l’attention et notre attention est limitée. Il faut donc faire des choix en fonction de ce qu’on nous force à lire ou qu’on nous recommande.

OfflineCertes, mais dès lors que tout le monde a Google…

N. NovaCe n’est pas le même Google en Suisse et en France non plus ; les réponses diffèrent en fonction de la géolocalisation. Si on examine l’édition numérique papier, il n’y a jamais eu autant de bouquins ! Mais on est entré dans une économie de l’attention et notre attention est limitée. Il faut donc faire des choix en fonction de ce qu’on valorise, de ce qu’on nous force à lire ou qu’on nous recommande à travers des amis ou un programme. Je vois les recommandations qui me sont faites, ce ne sont pas toujours vers des ouvrages mainstream ; si je m’intéresse à un truc bizarre, une autre personne qui s’y est intéressée a acheté un autre livre plus pointu. C’est difficile de répondre de manière complètement définitive, car ce sont des mouvements qui vont dans les deux sens.

OfflineVotre structure s’appelle Near Future Laboratory. A qui s’adresse-t-elle et quels sont ses services ?

N. NovaOn produit des design fictions pour des clients qui se demandent quel sera le futur de telle technologie ou de tel type d’objet. On a travaillé avec Ikea sur les objets connectés dans le monde de la maison, ou avec BBVA, une banque espagnole, ou encore avec Renault. Ça va de la voiture autonome aux objets connectés en passant par les capteurs, et les marques aimeraient voir à quoi cela pourrait ressembler. Ce n’est pas une prédiction, mais plutôt comment ces technologies vont changer les pratiques et les usages des gens, et au-delà la société. On propose une forme de design spéculatif, des design fictions ; on fait comme si ces produits existaient déjà et on crée des représentations. Pour Ikea, on a imaginé un catalogue avec leur langage graphique, mais dans lequel on présentait des objets connectés. Pour un client américain, on a imaginé le manuel d’une voiture auto­nome. Le guide étant une excuse pour se poser des questions et débattre du bien-fondé de certains changements technologiques. On appelle cela de la prospective, ce qui n’est pas prédire mais représenter les scénarios possibles pour l’avenir, qui permettent ensuite aux clients de prendre des décisions dans leur développement de produits ou de services.

OfflineComment imaginez-vous les scénarios à venir ?

N. NovaComme on ne peut pas toujours donner corps à nos scénarios pour nos clients, on développe nos propres projets à Detroit, aux Etats-Unis, avec des auteurs de science-fiction, des artistes et des designers ; on fait par exemple un catalogue d’objets fictionnels. De mon côté, j’ai fait un livre sur le reg­gae à 8 bits, une espèce d’ethno­graphie des musiciens qui font du reggae avec des vieilles machines. Cela peut paraître très futile, mais c’est aussi une manière de comprendre des univers très différents. Nos explorations personnelles nous permettent d’être plus fins dans les projets qu’on peut ensuite réaliser pour nos clients.

On s’intéresse aussi à la culture du canular. Par exemple, pour le musée du football à Manchester, on a réalisé le magazine de l’équipe de Manchester de 2018 qui montrait la dataviz dans le monde du sport et qui a été distribué dans la rue.

OfflineVous travaillez aussi avec Dunne & Raby ?

N. NovaCe sont les promoteurs du design spéculatif, ils ont une vision du design qui n’est pas forcément tournée vers la résolution de problèmes mais plutôt vers le débat, parfois critique, vis-à-vis d’enjeux technologiques. Ils sont dans un champ du design présenté dans des musées. De notre côté, on s’intéresse davantage à la culture pop, pour faire des objets proches : des objets, des catalogues, des manuels, de fausses affiches. On s’intéresse aussi à la culture du canular. Par exemple, pour le musée du football à Manchester, on a réalisé le magazine de l’équipe de Manchester de 2018 qui montrait la dataviz [datavisualisation, ndlr] dans le monde du sport et qui a été distribué dans la rue. Si on veut créer une forme de débat de société sur les technologies, il faut aussi qu’on puisse être intelligible pour les gens.

OfflineSur votre site Web, on voit des vieux objets. Pourquoi ? Est-ce une réaction nostalgique face à la technologie ?

N. NovaC’est une image du marché aux puces, j’adore les marchés aux puces… les objets n’y sont pas toujours si anciens, on peut avoir un mélange de Tamagotchi, de cartouches de Pokémon et des machins en bois… Finalement, tous ces objets finissent au marché aux puces ! J’y ai même vu des objets connectés tout sales… Ça remet un peu de perspective et montre que ces objets ne sont pas nouveaux si longtemps.

OfflineEtes-vous optimiste ?

N. NovaJe suis pessimiste à court terme et optimiste à long terme. On est au-devant de certaines cata­strophes à la fois écologiques, sociologiques et politiques à court terme, mais j’ai confiance dans l’humanité pour trouver des solutions, peut-être à travers de petits groupes. Si ces sujets m’intéressent et que j’enseigne dans une école d’art et de design, c’est aussi parce que je pense que le designer et les artistes participent de cet optimisme à plus long terme, pour trouver des formes d’intervention ou d’organisation qui pourront se révéler intéressantes.

1. Créolisation. Processus créant un mélange culturel à partir de plusieurs cultures en contact. Edouard Glissant fut le premier à proposer le concept de créolisation, qu’il définissait comme le « métissage qui produit de l’imprévisible » et qui était pour lui le « mouvement perpétuel d’interpénétrabilité culturelle et linguistique » qui accompagne la mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles.  2. Dadabot. Essay about the hybridization of cultural forms (music, visual arts, literature) produced by digital technologies, par Nicolas Nova et Joël Vacheron, conception graphique de Raphaël Verona (IDPURE éditions).
1. Créolisation. Processus créant un mélange culturel à partir de plusieurs cultures en contact. Edouard Glissant fut le premier à proposer le concept de créolisation, qu’il définissait comme le « métissage qui produit de l’imprévisible » et qui était pour lui le « mouvement perpétuel d’interpénétrabilité culturelle et linguistique » qui accompagne la mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles.  2. Dadabot. Essay about the hybridization of cultural forms (music, visual arts, literature) produced by digital technologies, par Nicolas Nova et Joël Vacheron, conception graphique de Raphaël Verona (IDPURE éditions).
1. Créolisation. Processus créant un mélange culturel à partir de plusieurs cultures en contact. Edouard Glissant fut le premier à proposer le concept de créolisation, qu’il définissait comme le « métissage qui produit de l’imprévisible » et qui était pour lui le « mouvement perpétuel d’interpénétrabilité culturelle et linguistique » qui accompagne la mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles. 2. Dadabot. Essay about the hybridization of cultural forms (music, visual arts, literature) produced by digital technologies, par Nicolas Nova et Joël Vacheron, conception graphique de Raphaël Verona (IDPURE éditions).