Salomé Chatriot

Elle prône la technologie par tous les pores de ses productions. Mais Salomé Chatriot ne manque pas d’air, elle a fait le tour de l’ECAL et son chemin les pieds sur terre en cultivant ses visions en deux ou trois dimensions, passant de l’une à l’autre comme on change de chas d’aiguille. Elle n’a pas fini d’apprendre et le confie : là.

Interview par Steven Rüthy
Bachelor Photographie

OnlineQu’est-ce qui t’a amenée à faire une formation en Media & Interaction Design ?

S. ChatriotJe ne suis pas partie de Paris pour entrer en Media & Interaction Design, pratique que je ne connaissais pas du tout. J’ai passé un bac économique et social, et mes professeurs ne savaient pas vraiment me conseiller lorsque je disais vouloir continuer dans une branche créative. L’ECAL est la seule école dont j’ai passé le concours, et je suis rentrée en Arts Visuels. Pour être très franche, j’ignorais que j’étais acceptée dans une école qui proposait également des formations en cinéma, en photo et en graphisme… J’ai passé les premières semaines à découvrir l’environnement créatif, et un mois après le début des cours, nous avons eu une présentation sur la section MID. J’ai décidé de tenter l’expérience parce que j’étais complètement fascinée par tous ces projets que je ne comprenais absolument pas.

OnlineDans une structure comme l’ECAL, les sections sont assez cloisonnées.

S. ChatriotLes départements semblent effectivement assez hermétiques au premier abord, mais le système est plus souple qu’il en a l’air. A force d’aller discuter avec mes amis en Arts Visuels, j’ai fini par passer une bonne partie de ma scolarité dans leurs ateliers. J’ai eu la chance de pouvoir échanger aussi avec plusieurs de leurs professeurs et assister à certains cours qui m’ont permis de changer d’environnement régulièrement. L’ECAL est un écosystème qui rassemble un bon nombre de personnes talentueuses avec lesquelles il ne faut pas hésiter à aller parler !

OnlinePenses-tu avoir trouvé l’espace nécessaire pour développer tes projets pendant tes études ?

S. ChatriotQuestion compliquée ! A certains moments, j’aurais aimé être plus libre dans mes projets et j’ai eu l’impression d’être tiraillée entre les exigences des cours et ce que je souhaitais mettre en place. Finalement, ces allers et retours ont été plutôt bénéfiques, en termes de créativité, pour essayer de dépasser mes limites, mais aussi en termes d’échanges et de compromis. Ça n’a pas toujours été facile, mais j’ai fini par concilier les aspects techniques et conceptuels avec les réalisations plastiques. L’ECAL est une école qui fonctionne de la même manière qu’une grosse entreprise, avec ses qualités et ses défauts. Si elle ne fournit pas assez d’espace à ses étudiants, il est néanmoins possible d’aller trouver de la liberté à l’extérieur tout en utilisant les ressources matérielles et intellectuelles qu’elle met néanmoins à disposition.

Les nouvelles technologies évoluent tellement vite qu’on nous apprend davantage à savoir chercher des solutions qu’à être les meilleurs en programmation ou en électronique.

OnlineCoder, produire des visuels 3D et de la réalité augmentée… était-ce facile à maîtriser ?

S. ChatriotNon, l’apprentissage technique prend du temps et c’est d’ailleurs la difficulté de l’approche multimédia. Au début, je passais une grande partie de mon temps à mettre en place des systèmes fonctionnels, parfois en délaissant un peu la partie design ou visuelle. De toute façon, les nouvelles technologies évoluent tellement vite qu’on nous apprend davantage à savoir chercher des solutions qu’à être les meilleurs en programmation ou en électronique. C’est une bonne approche, car j’ai l’impression qu’on a pu se spécialiser dans ce qu’on aimait le plus faire. Parfois, je me demande ce que je pourrais produire si je faisais mon bachelor avec les compétences que j’ai acquises aujourd’hui.

OnlineD’où vient cette curiosité/obsession pour l’univers médical et l’anatomie humaine (si on se fie à ton compte Instagram) ?

S. ChatriotJe suis fascinée par les diverses représentations du corps (humain ou non), dans l’univers médical au même titre que dans l’art antique et le théâtre. C’est sûrement assez cliché, mais mon père et moi avons toujours beaucoup échangé autour du théâtre. Mon frère est ingénieur/programmeur, ma maman sculpteur, et le reste de ma famille est médecin. Les discussions autour du corps sont vraiment fréquentes chez moi. J’ai simplement ingurgité les informations autour de moi, les digérant au fur et à mesure, pour ensuite les restituer sous forme graphique. Outre ces inputs, il se trouve que la question du corps dans la société contemporaine m’intéresse particulièrement, tant par ses enjeux politiques, sociaux, financiers et éthiques que par ses représentations esthétiques ou morales.

OnlineDans ton évolution artistique, tu as décidé de favoriser la conception d’installations plutôt que de visuels sur écran. As-tu une préférence pour l’un ou l’autre ?

S. ChatriotJe produis les deux. C’est agréable de passer du digital au physique par l’intermédiaire des installations. J’aime aussi penser avec les mains et produire des objets sans électronique. Le format digital est néanmoins pratique et j’essaye de faire exister mes visuels en ligne, mais aussi en les exposant.

Parfois c’est une performance, parfois un objet, une installation ou des images, mais à choisir j’aimerais bien être une sorte de docteur Frankenstein version super tech.

OnlineTe considères-tu plutôt comme une interactive media designer ou une artiste plasticienne (ou même performeuse) ? Où est la limite entre ces catégories ?

S. ChatriotLa limite est mince et je ne pense pas être en mesure de répondre à cette question, qui concerne plutôt les historiens d’art. En réalité, je fais tout. Sans vraiment y penser. Je me (re)considère à chaque nouveau projet ; je produis ce qui me fait plaisir et ce qui m’anime. Parfois c’est une performance, parfois un objet, une installation ou des images, mais à choisir j’aimerais bien être une sorte de docteur Frankenstein version super tech.

OnlineQue penses-tu que l’ECAL t’ait apporté dans ton développement artistique ?

S. ChatriotTout et rien. L’ECAL n’est qu’une plateforme qu’il faut modeler selon ses attentes. Entre mon arrivée en propédeutique et maintenant, j’ai grandi. L’ECAL m’a permis de rencontrer beaucoup de monde, d’échanger et d’apprendre, mais j’ai découvert seule, au fur et à mesure, ce que j’avais envie de créer et qui j’avais envie d’être. Ces envies évoluent encore, le contraire serait inquiétant d’ailleurs.

OnlineParviens-tu à vivre de tes créations ?

S. ChatriotÇa dépend ce que je fais ! Je travaille en free-lance pour la New Galerie, ainsi que pour des clients ou des marques, et je suis aussi invitée à exposer. Pour les projets culturels, je ne suis généralement pas payée, mais défrayée. J’essaye de trouver le bon équilibre… c’est un peu du cas par cas. Par exemple, j’étais cet été à São Paulo pour une exposition avec Mélanie Courtinat et Iseult Perrault, pour laquelle nous avons voyagé et été hébergées gratuitement. Au terme de notre séjour, nous avons vendu une installation au FIESP, le centre culturel, ce qui m’a permis de produire de nouvelles pièces pour deux expositions en octobre 2019. Je n’ai pas de collectif fixe, je préfère être nomade ! Cependant, je travaille souvent en collaboration avec d’autres artistes, penseurs ou designers.

OnlineQuels sont tes projets ?

S. ChatriotEn ce moment, je travaille sur plusieurs expositions collectives, l’une à Kiev (BURSA), l’autre à Paris (Galerie la Paix), où seront présentées des pièces réalisées avec Marine Giraudo et d’autres que j’ai faites avec Filip Skrapic. Je produis aussi un triptyque de sculptures avec Samuel Fasse et je travaille sur la deuxième représentation d’une performance créée en octobre 2018. Dans un futur plus lointain, j’espère que la folle machine que je crée avec Federico Nicolao verra le jour. Plus pragmatique, je travaille sur une installation interactive pour le corner d’une marque de prêt-à-porter au Bon Marché à Paris et sur plusieurs projets de vidéos et d’images digitales en 3D pour leur secteur mode.