Pastor/Placzek

La filière Media & Interaction Design de l’ECAL permet d’expérimenter une série de dispositifs, dont la VR (virtual reality). Mais comment franchir le pont entre cette virtualité et la réalité des besoins de commanditaires pour qui les enjeux restent souvent abstraits ? Mélanie Courtinat, diplômée en 2017, a choisi de s’associer avec Quentin Dubret (Sciences Po et école de cinéma) pour développer des projets en VR. Récit.

Propos recueillis par Achille Masson et & Mallaury Genet
Bachelor Media & Interaction Design

OfflinePastor / Placzek, c’est qui?

Pastor/PlaczekMélanie Courtinat, j’ai 25 ans, j’ai terminé l’ECAL il y a 2 deux ans et demi, en Média Media & Interaction Design.
 
Quentin Dubret, j’ai 33 ans. J’ai fait Sciences Po Paris et une école de cinéma en production. Avant de créer le studio P/P® avec Mélanie, j’étais directeur artistique, je gérais une plateforme « d’art vidéo » dans une logique de curation.

OfflineComment s’est déroulée votre rencontre ?

Pastor/PlaczekA l’ECAL, pour mon diplôme, j’ai fait un projet en réalité virtuelle alors qu’il n’y avait pas de cours spécifique sur ce sujet, c’était assez expérimental. J’avais travaillé sur un jardin suspendu avec des trackers qui pouvaient capter la position des mains dans l’espace. Il y avait des fleurs qui se gêneraient en fonction de l’interaction de l’utilisateur. Plus on interagissait, plus apparaissaient des variétés de fleurs et de couleurs. C’est un projet qui n’a pas vraiment plu au jury, ce qui m’a passablement déçue parce que j’ai adoré le faire.
De retour à Paris, j’ai rencontré Quentin alors qu’il cherchait, dans son ancienne agence, à produire de l’art en réalité virtuelle [VR, pour virtual reality]. On a donc commencé à travailler autour de mon projet de jardin, il m’a aidée à le développer et à en faire plus qu’un projet de diplôme. On l’a adapté ensemble, à la fois techniquement et sur le plan de la promotion. Grâce à ça, on a pu le faire voyager. On a pu l’exposer à la Gaîté Lyrique à Paris, à Londres, en Inde, à Tokyo, aux Rencontres d’Arles… Ça se passait tellement bien qu’on a décidé de monter notre studio ensemble.

OfflineComment avez-vous été contactés pour être exposés ?

Pastor/PlaczekIl y a plusieurs manières de faire. Il y a d’abord les sollicitations, et pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait un relais presse pour te faire connaître. Ce n’est pas vraiment un réseau, mais ça permet d’influencer les choses. Il y a les candidatures aussi. Les Rencontres de la photographie d’Arles, c’en était une ; on était certains que ça allait fonctionner parce que c’était ciblé et qu’on croit en ce qu’on fait.

OfflineOù travaillez-vous?

Pastor/PlaczekComme la VR ce n’est pas trop portable, on a notre studio à Paris depuis deux ans maintenant, avec tout le matériel. Et quand on travaille avec un développeur, on peut l’héberger dans nos bureaux.

C’est toujours plus facile à deux de pousser un projet. C’est à deux qu’on a réussi à dépasser l’exercice d’art appliqué pour avoir mener des réflexions plus artistiques.

OfflineTravailler ensemble, qu’est-ce que ça vous a apporté ?

Pastor/PlaczekÇa nous a permis d’aller plus loin. C’est toujours plus facile à deux de pousser un projet. C’est à deux qu’on a réussi à dépasser l’exercice d’art appliqué pour mener des réflexions plus artistiques. Et sur le plan technique, c’est pareil. A l’origine, j’utilisais le casque de réalité augmentée STC vibes. À ce moment-là sortaient les vibes trackers, des capteurs en forme de corolles, dont j’ai fait des bracelets parce que je voulais que ce soit une expérience sensorielle, que la paume de la main ne soit pas en contact avec le plastique dur d’une manette. Le bracelet calculait bien la position des mains dans l’espace, mais il y manquait l’articulation des doigts. Là encore, c’est après avoir réfléchi ensemble qu’on a décidé d’utiliser une autre technologie qui venait de sortir, le lip motion, et placé sur le casque 8400 capteurs infrarouges. Ça permettait de voir toute la main avec une interaction beaucoup plus fluide et intuitive.

OfflineCe premier projet, n’était-ce pas aussi un mandat ?

Pastor/PlaczekOn a effectivement gagné de l’argent quand LVMH a loué notre projet. Mais à l’origine, ce n’était pas un projet de commande.

OfflineDans le cadre d’une exposition où d’une commande, quel est votre degré d’exigence ou de contrôle dans la réalisation d’une installation ?

Pastor/PlaczekLe Jardin suspendu est un projet qui fonctionne avec une scénographie particulière, on refuse donc de l’exposer s’il n’y a pas les conditions requises. Il faut apprendre à mettre des limites, à ne pas dire oui à tout. D’un autre côté, il faut accepter aussi le fait qu’on ne peut pas tout contrôler. Surtout dans le cadre d’une commande, où il faut être souple tout en essayant de ne pas trop s’éloigner de l’idée de base. On fait des propositions, on répond à des besoins, mais ce sont souvent des discussions longues parce que notre domaine de travail est encore nouveau pour le public et nos clients.

OfflineComment se déroule le travail dans votre studio ?

Pastor/PlaczekDès le départ, on scinde les choses en deux. D’abord il y a les coopérations avec des artistes. On sait que ça ne rapporte pas d’argent, mais ce ne sont pas des projets trop ambitieux en termes de moyens et on a envie de les faire parce qu’on y croit et qu’on pense qu’ils ont quelque chose à nous apporter. Ce sont des projets de fond qui poussent la réflexion.
Ensuite, il y a les commandes. Les clients nous contactent parce qu’ils sont tombés sur nos réalisations et se posent des questions sur les contenus digitaux ou interactifs, et sur la façon dont ils pourraient les utiliser. Là, ce n’est pas le même rapport. La démarche est totalement différente. Maintenant, on sait qu’on ne peut pas faire de la réalité virtuelle dans l’optique de gagner de l’argent. On n’est pas aveugle, on voit bien que ça ne marche pas. Pour l’instant, ça reste un marché de niche.

On aime bien que tout soit camouflé ou caché pour ne pas fétichiser la technologie.

OfflineComment s’est déroulé le projet avec Dolce & Gabbana ?

Pastor/PlaczekIls ont acheté un palais à Rome et c’était un chantier gigantesque. Dolce & Gabbana, c’est vraiment too much… A un moment donné, le client a voulu en faire une sorte de chapelle Sixtine. On a convenu avec l’agence d’architecture de faire quelque chose qui fonctionne avec l’architecture du lieu, mais qu’on ne pourrait pas voir ailleurs. On leur a proposé une animation qui rappelle la chapelle Sixtine… en plus « Dolce & Gabbana ». Il fallait que ça brille et que ça reprenne les valeurs de la marque. Pour ça, on a fait attention à ne pas mettre en avant ni le procédé ni le dispositif interactif. On aime bien que tout soit camouflé ou caché pour ne pas fétichiser la technologie.

OfflineComment pensez-vous que votre installation va vieillir ?

Pastor/PlaczekPour D&G, c’est censé durer dix ans, ils ont construit la pièce pour ça – il y a presque un an aujourd’hui. Ça s’appelle le paradis de Dolce. En termes de hardware c’est très lourd, des murs de panneaux de LED avec derrière des matrices. C’était donc important d’anticiper les soucis techniques et trouver des solutions pour adapter ou recycler l’installation.

OfflinePouvez-vous nous parler d’autres projets, les filtres Instagram par exemple ?

Pastor/PlaczekPour notre premier filtre, réalisé durant l’été 2019, on a pactisé avec un make-up artist new-yorkais, Cupid’s Vault (le nom de son compte Instagram). Il a 18 ans et il est très talentueux. L’intérêt de ce projet était de pouvoir « rendre » les looks de Cupid, qui sont hyper singuliers, de les sortir du feed et de faire en sorte que l’utilisateur Instagram puisse les porter sur son visage. On a fait très attention à ce que ça aille à tout le monde, à tous les types de peau et de morphologie. C’était un vrai travail ! Ça a fait un million de vues la première semaine, et comme ce n’est pas un filtre beauté, ça n’arrive pas souvent.

OfflineComment terminez-vous un mandat ?

Pastor/PlaczekDans l’urgence à chaque fois. Quand on convient d’une date de rendu, on met tout en œuvre pour ne pas la dépasser. Donc, évidemment, certaines fois c’est à 23h59 par Wetransfer…

Notre travail perso, on l’insuffle dans le studio. Pour les clients, c’est intéressant, car on expérimente, on tente des collaborations. Ce n’est pas pour vendre des prestations en plus, c’est pour essayer des choses et s’assurer qu’on peut le faire, qu’on maîtrise la technique.

OfflineContinuez-vous de faire des choses en dehors du studio ?

Pastor/PlaczekOn est totalement dévoués au studio. Notre travail perso, on l’insuffle dans le studio. Pour les clients, c’est intéressant, car on expérimente, on tente des collaborations. Ce n’est pas pour vendre des prestations en plus, c’est pour essayer des choses et s’assurer qu’on peut le faire, qu’on maîtrise la technique. C’est un raisonnement qui n’est pas conventionnel, mais ça permet de ne jamais refaire les mêmes projets.

OfflineActuellement, vous travaillez sur quel type de contenu en VR ?

Pastor/PlaczekDepuis deux ans, on travaille avec des hypno-thérapeutes qui ont eu l’idée d’utiliser la VR pour prolonger leur pratique de l’hypnose médicale. C’est une méthode alternative pour les personnes qui ne supportent pas la narcose ou les patients qui doivent se détendre avant une anesthésie. Etre assis ou allongé sur une table, c’est très vite anxiogène. La VR, c’est l’outil de diversion ultime.

OfflineSur quoi vous basez-vous pour produire ces séquences ?

Pastor/PlaczekCe sont les thérapeutes qui avancent des idées, des principes hypnotiques qui varient en fonction du type de patient. Par exemple, pour les grands brûlés qui ont tendance à se projeter dans du froid, on va créer un univers avec de la neige. Comme ce n’est pas toujours ce qui nous passionne le plus, on doit faire preuve de diplomatie. Arriver à faire gentiment comprendre aux clients que leurs idées ne sont pas forcément les bonnes sans qu’ils se froissent. Et comme on ne peut pas imposer des visuels et dire je veux ça, on procède davantage par concept. Sur cette base-là, on imagine un scénario avec un minutage, des mini-séquences et du son. On a d’ailleurs fait appel à deux développeurs de jeux vidéo pour ce type de contenu en VR.
L’autre particularité avec ce client, c’est qu’on doit signer une décharge. Comme on produit un dispositif médical et pas du contenu traditionnel, il ne faut pas qu’il y ait le moindre problème technique.

OfflineVous pourriez présenter ce projet dans une exposition ?

Pastor/PlaczekC’est un projet tellement spécifique qu’il n’aurait pas un grand intérêt en dehors du contexte pour lequel il a été prévu. Le patient est dans un milieu clinique, il sait qu’il est tout seul et qu’il n’y aura personne pour le déranger, ce qui n’est pas le cas dans une exposition où il y a du monde et du passage.
 

OfflineComment vous répartissez la charge de travail ?

Pastor/PlaczekÀ nos débuts, nos interlocuteurs essayaient de nous mettre chacun dans une case. L’une c’est l’artiste et l’autre le producteur. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Aucun de nous n’est le chef de l’autre. Si c’est important pour l’un d’agir comme ça, l’autre est capable de l’accepter. Tout passe par le dialogue et une confiance totale. Définir les tâches à l’avance peut créer beaucoup plus de tensions ou de frictions qu’à laisser les choses se faire naturellement. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de conflit ; c’est normal d’avoir des avis divergents.

OfflinePastor/Placzek, pourquoi ce nom ?

Pastor/PlaczekC’est le nom de jeune fille de nos deux mères. On trouvait ça vraiment drôle de faire un nom imprononçable, les gens n’arrivent jamais à l’écrire ou à le dire. Aussi, et surtout, on ne voulait absolument pas un nom se terminant par VR. Au début, on avait mis une appellation déposée sur notre logo, comme si quelqu’un allait utiliser le nom « Pastor/Placzek® » un jour (rires).

OfflineComment gérez-vous votre visibilité sur les réseaux ?

Pastor/PlaczekTrès sincèrement, beaucoup font ça beaucoup mieux que nous. On utilise surtout Instagram comme une vitrine. On publie seulement les travaux finis. On est assez frileux quant à montrer notre work in progress, alors que ça se fait beaucoup. Montrer une fenêtre Unity ou une fenêtre de code, ça ne raconte finalement pas grand-chose. On préfère montrer notre déco et les livres qu’on a lus plutôt qu’un semi-rendu en cours. C’est aussi un peu stressant de montrer une bonne idée qui finalement n’en sera peut-être pas une. On n’avance pas en ligne droite, on doit parfois faire demi-tour et, dans certains cas, vis-à-vis de nos clients, on n’a simplement pas le droit de publier du contenu. On signe des accords de confidentialité.

OfflineQuelle amélioration aurais-tu aimé à l’ECAL en section MID ?

Pastor/PlaczekA l’époque, il manquait un cours de théorie du jeu vidéo. De mon point de vue, ça n’a pas de sens de produire quelque chose sans avoir la culture qui entoure la pratique. Il y a une scène indépendante qui dépasse largement le triple A. Graphiquement ou en termes de gameplay, il existe beaucoup de choses intéressantes. Un workshop théorique permettrait d’ouvrir l’horizon.