Naoto Fukasawa

A l’issue de leur voyage au Japon, entrepris au printemps 2017, les étudiants du Bachelor Design Industriel ont eu le privilège de s’entretenir avec Naoto Fukasawa. Le célèbre designer était venu visiter le 21_21 Design Sight de Tokyo qui présentait les mobiles dessinés par les étudiants sous la direction des professeurs Nicholai Wiig Hansen et Stéphane Halmaï-Voisard.

Propos recueillis par Nathan Baraness, Julien Chaintreau et Célia Steinmetz
Bachelor Design Industriel

Photographie d’Ivo Fovanna et Vincent Levrat
Bachelor Photographie

OfflineA propos d’Internet, beaucoup de designers passent par la Toile pour exposer leurs projets et les vendre…

N. Fukasawa Internet nous fait gagner beaucoup de temps ; cela permet aux choses de se passer dans différents lieux, environnements… au même moment. Vous êtes invisible, mais vous êtes connecté ; c’est assez métaphorique. C’est une ressource illimitée et incroyable. Par exemple, je me souviens être allé dans une petite île aux Philippines, où – comme sur toutes les petites îles du pays – l’eau est très rare, il ne faut pas la gaspiller. Mais pourtant Internet est présent partout, et c’était une grande surprise. C’est très paradoxal, les gens boivent une eau de mauvaise qualité, mais leur couverture réseau est optimale. C’est dire à quel point Internet est devenu primordial pour le monde ; on préfère avoir une bonne connexion que boire une eau pure. Je pense qu’il ne faut plus ignorer la puissance de la Toile.

OfflineNaoto, le public vous connaît bien, surtout pour vos travaux dans l’univers du mobilier, mais aussi pour votre approche des objets électroniques. Quelle est votre préférence en matière de design ? Le point de vue social des objets, l’interactivité ? Ou bien un point de vue plus statique et formel que vous voudriez revisiter encore et encore ?

N. Fukasawa A mes débuts en tant que designer, je créais des petites pièces électroniques pour une entreprise de montres. J’ai par la suite réutilisé ces technologies pour les faire vivre à plus grande échelle, comme pour des télévisions ou des ordinateurs. C’est une entité du design qui me plaît, certes, mais je suis aussi intéressé par l’industrie du mobilier. Le monde a dressé des catégories, mais dans chaque maison il y a une télé, un canapé, une cuisine, une multitude d’objets connectés… Or, pour moi, cela forme un tout. Il est vrai que dans l’industrie c’est différent, mais ce que je recherche c’est l’intégration. L’idée que l’on puisse créer une chaise interactive avec un textile spécifique, digitalisé, pouvant reconnaître la personne qui s’assoit dessus, par exemple, me semble passionnante !

Il faudrait réfléchir au design de la même manière que nous concevons la vie, à savoir une intégration.

OfflineCe que vous décrivez là est-il une des manières d’envisager l’enseignement du design avec vos étudiants ?

N. Fukasawa On ne devrait plus distinguer ces deux catégories de design. Prenons l’exemple de notre vie, elle englobe énormément de choses, c’est un tout ! Il est encore compliqué pour les étudiants de comprendre ceci, car ils séparent par exemple design graphique et design de produit. Mais au final, c’est la combinaison de ces éléments qui est nécessaire. Il faudrait réfléchir au design de la même manière que nous concevons la vie, à savoir une intégration.

OfflineA propos d’innovation, vous sentez-vous à l’aise dans le travail de matériaux novateurs, ou bien préférez-vous une approche plus traditionnelle avec des matériaux comme le bois, le métal ou certains plastiques ?

N. Fukasawa Ah, les matériaux ! Je me pose la même question très souvent… Eh bien je ne suis pas un designer qui commence à travailler à partir de la matière. Je préfère d’abord avoir l’esprit libre quand je conçois un objet. Puis vient la question du matériau qui conviendra le mieux. Parfois, comme chacun de vous, il m’arrive de toucher une matière intrigante et de réfléchir à ce que je pourrais bien en faire… Mais ce n’est pas du tout ma façon de procéder, car quand je travaille sur un projet, c’est parce qu’une personne me l’a demandé, qu’il y a un cahier des charges précis en amont. Quand on me demande comment je ferais cette nouvelle chaise, je me demande spontanément comment je vais la réaliser, puis ensuite j’inclus le matériau le plus adéquat à la technique que je compte employer.

OfflineAvez-vous quelques conseils à donner pour devenir un bon designer de nos jours ?

N. Fukasawa A ce que je peux voir, vous êtes déjà de bons étudiants en design ! Mais ce qui est intéressant – en tout cas c’est ce que je répète sans cesse aux élèves de mon école – c’est la chose suivante : que vous soyez étudiant ou déjà professionnel, il ne faut pas trop se demander si l’on est designer ou non. Il faut faire, créer, et là vous serez le designer ! De nouveau, des personnes aiment classifier le domaine de la création en branches, il y aurait selon eux des étudiants, des designers, des architectes… mais ce n’est pas bon selon moi. Quand j’étais encore étudiant en design, mon frère me demandait comment mon esprit arrivait si bien à rester concentré à faire les choses. Aujourd’hui encore, je trouve sa question étrange, car je prends plaisir à créer et à donner de l’énergie à mes projets, une fois que je suis persuadé qu’ils sont justes. Il faut tout d’abord aimer ce travail pour prendre plaisir à créer. Aussi, le rêve est très important pour trouver l’inspiration…

La vie est faite de choix. Imaginez-vous venir régulièrement dans un café où vous décidez de vous asseoir à tel endroit. La fois suivante vous revenez mais la place est déjà prise… Cela ne doit pas vous contrarier, bien au contraire votre esprit doit faire preuve de créativité et faire un choix en fonction de cette contrainte. Les gens en général ne prêtent pas attention à cela, mais il vous faut en être conscient, toujours adopter la meilleure option, c’est cela qui fera de vous un bon designer !

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