S’il est aujourd’hui reconnu pour son travail de tatouage, Maxime Büchi, qui a suivi une formation de designer graphique à l’ECAL, est aussi éditeur de la revue « Sang Bleu » et il a très tôt investi les plateformes digitales. Autant de raisons de nous entretenir avec lui, parallèlement au workshop qu’il est venu dispenser.
Propos recueillis par Pauline Brocart, Pauline Mayor et Olivia Wünsche
Bachelor Design Graphique
Portrait de Thaddé Comar
Bachelor Photographie
OfflineTu es de retour cette semaine à l’ECAL pour un workshop que tu donnes avec Nicolas Haeni. En quoi consiste-t-il ?
M. BüchiJ’ai demandé aux étudiants d’imaginer un contenu digital, de travailler dans un premier temps avec Snapchat, pour une production de matériel brut, éphémère. Il y a ensuite une étape d’édition et de distillation avec Instagram – avec des choses sélectionnées, rééditées – et enfin la présentation finale, plus classique, avec des vidéos, des posters, des tirages. Le but c’est de comprendre que ces différents « lieux » de publication ont des statuts et des qualités différentes. La personne qui regarde doit comprendre intuitivement leurs impacts et enjeux.
OfflineOn parle d’une génération de digital natives ; tu as été surpris par leur approche ?
M. BüchiBien que le sujet soit principalement digital, certaines parties de la commande demandent une distance que les étudiants en première année n’ont pas forcément, que d’ailleurs moi-même je n’aurais pas eu à l’époque. Mais je suis aussi parti du principe qu’on assiste à une certaine accélération des connaissances avec l’arrivée du digital ; n’importe qui acquiert ou du moins a accès à une quantité de connaissances autour des arts appliqués et des beaux-arts. Mais si la connaissance est omniprésente, ce qui compte aujourd’hui c’est la perception, la distance et la manière de sélectionner ce qui est pertinent.
OfflineQuelque chose a changé ?
M. BüchiA mon époque, on apprenait toutes ces choses de manière consciente ; aujourd’hui, à cause de l’omniprésence du « savoir », ce n’est plus le cas, et c’est presque un processus inconscient. Avec tant de connaissances, il faut davantage déstructurer, en reprendre conscience et élaguer plutôt que constituer. Je pense aussi que la création est aujourd’hui plus rapide, par la visibilité du processus. Par exemple, avec le sketchbook, c’est comme si chaque esquisse d’un artiste pouvait donner lieu à une exposition tout autour. Cette sur-abondance fait que si le fond change, c’est surtout la forme, la manière dont c’est diffusé et perçu qui évolue à travers la visibilité du processus.
OfflineComment est venue cette envie de marquer des corps à vie ?
M. BüchiEn fait, je pense qu’une certaine gravité m’a manqué dans le graphisme. Quand je suis sorti de l’école, je n’ai pas réussi à trouver assez d’enjeux dans la pratique du graphisme simple. J’ai eu beau chercher à me motiver – que ce soit par l’argent, par la reconnaissance de mes pairs… –, je suis quelqu’un qui a une certaine inertie et j’ai besoin de beaucoup de pression pour me mettre en mouvement. C’est dans l’interpersonnel, dans l’engagement à la personne que j’arrivais à le trouver. Bon, ma mère est psychothérapeute… c’est peut-être ce qui m’a fait m’attacher à la relation comme quelque chose de fort. Je suis quelqu’un de très empathique, j’ai besoin de ça. Le tattoo, c’est tellement de choses en même temps ! Il faut discuter avec la personne, il y a de l’empathie, un aspect psychologique, de connaissance, il faut comprendre assez vite les références de l’autre. Il faut diriger la personne sans la froisser vers des choses qui nous plaisent et dans lesquelles on est compétent.
Les tattoos ça peut être des souvenirs, des traces d’une certaine époque ; je me ferais tatouer différemment maintenant.
OfflineIl est aussi question de stratégie ?
M. BüchiIl y a l’aspect mercantile : il faut gagner de l’argent, et aussi penser sa carrière sur la longueur, car on ne peut pas toujours faire la même chose. Pour ce qui est de l’aspect branding, les gens qui viennent me voir se projettent beaucoup dans un « quelque chose », comme on peut avoir un autographe, mais évidemment je ferais attention de ne pas, par exemple, faire mon autographe sur le cou d’une personne. Les tattoos ça peut être des souvenirs, des traces d’une certaine époque, quoi qu’il arrive, que ce soit très évident ou plus subtil ; je me ferais tatouer différemment maintenant. Mes tattoos ne sont pas les signatures d’un tatoueur, c’est une signature de moi à cette époque-là.
OfflineComment se passe un premier rendez-vous avec toi pour un tatouage ?
M. BüchiLes gens peuvent venir avec toutes sortes de motivations et d’envies. Souvent, on demande de remplir un genre de protocole qui permet de voir assez largement ce que la personne veut. On a des cas très divers : certains veulent des choses très précises, d’autres veulent juste être tatoués par moi et me demandent de faire ce que je veux. En général, ce n’est pas ce qui marche le mieux, car ils ne sont jamais prêts à faire exactement tout ce que je veux, à savoir des choses très différentes que je n’ai pas l’occasion de faire tous les jours ! Lorsque c’est « vous ne savez pas ce que vous voulez, mais vous savez ce que vous ne voulez pas », alors je leur demande de m’envoyer des images, des références, ce qu’ils ont aimé dans ce que j’ai fait, et je crée un dialogue. Parfois je fonctionne comme avec les tests de Rorschach. Cela peut être par e-mail, mais le plus possible je leur demande de venir me voir en personne, c’est toujours plus efficace d’avoir ces discussions au studio. Je sors des livres, je vois ce qui les touche, ce qu’ils regardent et, tout de suite, il y a des signes, une hésitation sur une image. Je leur demande : vous aimez bien ça ? Qu’est-ce que vous aimez bien là-dedans ? J’essaie de voir à quel point la personne est prête à articuler, à comprendre. Et puis je leur propose un dessin, et là arrivent assez vite le positionnement et la taille. Mais il m’est arrivé aussi quelques fois de dire à une personne qu’elle n’est pas prête, qu’il faut encore un peu de temps, qu’elle réfléchisse… et on reste en contact.
OfflineIl y a des surprises ?
M. BüchiJ’accepte parfois des projets étranges, où je me demande vraiment pourquoi la personne me demande ça à moi. Cela m’impose des sortes de challenges… et parfois c’est l’inverse, je dois acheter un canapé pour la maison ou j’ai beaucoup de factures à payer, et il faut que je tatoue le plus possible, je fais des heures en extra et j’accepte des projets plus simples. J’ai la chance de pouvoir varier mon travail, et la manière dont je gère mes réseaux sociaux, Instagram par exemple, est aussi une stratégie pour pousser les choses un peu plus dans un sens que dans un autre.
OfflineTu as récemment créé un nouveau studio. Pourquoi à Zurich ?
M. BüchiIl y a une réponse très simple : je suis parti de Suisse pour des raisons personnelles, j’étais dans une sorte d’opposition. Je suis très « suisse » dans le fait que je ne sais pas vivre dans la tension et que je n’ai pas envie de vivre dans le ressentiment ou le conflit. Je suis parti parce que je sentais que je pouvais fonctionner mieux dans un autre contexte. Mais j’ai toujours su que je reviendrais. On ne peut pas nier ses origines. Et aujourd’hui, je veux que mes enfants connaissent quelque chose de la Suisse. Je ne peux pas parler de l’Angleterre comme je peux parler de la Suisse. C’est quelque chose qui a une valeur sentimentale ou symbolique, le fait d’être connecté aux sources d’une manière ou d’une autre.
OfflineMais Zurich ?
M. BüchiAprès, le choix de Zurich en particulier… Bon, j’aime Zurich, je fonctionne bien là-bas parce que c’est plus urbain, plus connecté à mon style de vie. Mais c’est un aspect uniquement business : je dois diriger le studio à distance et faire en sorte qu’il soit rentable commercialement. J’ai aussi dû aller vers un endroit où le potentiel de clients était plus élevé… parce qu’on est dans une niche. A Zurich, c’est plus facile de convaincre les gens, il y a plus de clients qui sont connectés à cette culture que je représente. Et il y a aussi les facilités logistiques : de Londres à Zurich, c’est une heure d’avion, en quatre heures je peux être de chez moi à Londres à mon studio à Zurich.
OfflinePublic Enemy ou Black Moon ?
M. BüchiPublic Enemy.
OfflineCoop ou Migros ?
M. BüchiMigros.
OfflineRappo ou Keller ?
M. Büchi(Eclat de rire) Rappo c’était quelqu’un d’incroyablement influent. Honnêtement, 80 % de ce que je sais faire en graphisme, c’est grâce à NORM et Rappo. Mais j’utilise le graphisme comme un moyen plutôt qu’une fin, et ça c’est plutôt Pierre Keller, qui m’a montré que malgré les critiques, on peut toujours se rattacher à sa vision, et que même en Suisse c’était possible.
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