Maximage

Dans le cadre d’un workshop donné par David Keshavjee et Guy Meldem aux 2e année Design Graphique, nous avons questionné leur démarche en tant que graphistes, leur intérêt pour la recherche et leur regard sur le futur de la profession.

Propos recueillis par Thomas Prost et Federico Barbon
Bachelor Design Graphique

OnlineQu’est-ce que Maximage ?

MaximageMaximage Société Suisse est un collectif de graphisme créé en 2008 et basé à Londres et à Genève. Nous travaillons sur des projets de commande et auto-initiés qui peuvent prendre forme sur différents médiums (affiches, publications, polices de caractères ou autres documents éphémères), en explorant souvent les possibilités d’impression. Maximage est né comme un projet pas très limpide, et nous avons volontairement essayé de le garder dans cet état. Au début, c’était un atelier partagé à Lausanne qu’on avait appelé Maximage pour rire, et quand on a dû signer nos projets, on a simplement choisi de garder ce nom. Originellement, il s’agit donc de Julien Tavelli et moi, David Keshavjee, mais des gens intègrent souvent nos projets, comme Guy Meldem, Simon Haenni ou Daniel Hättenschwiller.

OnlineVous travaillez autant sur des projets de recherche que des commandes. Comment cela s’articulent-il ?

MaximageOn fait avant tout de la recherche pour réinjecter des nouvelles techniques et esthétiques dans nos projets. Et puis nos projets vont à leur tour nous donner des idées pour tester de nouvelles choses qui nous intéressent. Nous utilisons souvent le travail de recherche comme point de départ pour d’autres projets destinés à de vrais clients. Un bon exemple est le catalogue annuel que nous avons réalisé pour Patrick Frey, dans lequel on a utilisé les profils de couleur Color Library. On a profité de ce projet pour imprimer des images et des cibles avec de l’encre Silver, et une fois imprimé on a pu scanner ces pages pour mettre au point des profils. Ce cercle vertueux fonctionne aussi parce que les gens voient que nous faisons des projets un peu spéciaux, qui amènent quelque chose d’autre, une réflexion sur la technologie ou une esthétique. On nous contacte alors pour des projets qu’on mènerait plus loin dans ces domaines que ne le ferait une simple agence de graphisme. Et ça nous permet de toujours réutiliser les résultats pour nos recherches.

OnlineS’il était donc naturel pour vous de faire de la recherche, comment en êtes-vous venus à ces problématiques liées à l’impression ?

MaximageAu fur et à mesure, on a pris conscience qu’en tant que graphistes, on est confronté à des technologies et des logiciels, qui influencent énormément notre travail. Déjà, avec notre projet de diplôme (la police Programme sortie chez Optimo en 2013), l’idée était de créer notre propre outil. Cette vision s’est répercutée sur de nombreux projets à différentes échelles, y compris sur notre projet de recherche. On essaye d’intervenir au moment de la production même d’un livre, à l’impression, car pour nous c’est une étape où l’on peut encore designer, même après avoir envoyé le pdf à l’imprimeur.
La genèse de cette démarche, c’est le moment où on s’est rendu dans une imprimerie pour la première fois afin d’imprimer un livre avec les caractères en bois réalisés pour notre diplôme. A l’époque, on n’y connaissait rien, on ne nous avait jamais appris toutes ces étapes d’impression. Et peut-être, justement, que cette découverte nous a fascinés et nous a amenés à comprendre à quels moments on pourrait intervenir dans cette chaîne de production. On a commencé durant un workshop à l’ECAL, intitulé Acid Test, durant lequel on a développé nos plaques d’impression nous-mêmes, avec de la chimie, et on a demandé à Benjamin Plantier [imprimeur de l’école, ndlr] de les imprimer. On a dû le pousser, il pensait que ça n’allait pas s’imprimer ; il a fini par le faire et ça a marché.

Les grandes marques d’imprimerie essayent de standardiser l’impression. Notre recherche tend à faire l’inverse, on offre une esthétique et une sensibilité au médium imprimé. On perd des informations dans les images pour y gagner autre chose.

OnlineQuelle est l’idée de départ de Color Library?

MaximageC’est le même principe qu’avec l’expérimentation dans l’imprimerie, mais avec les logiciels de prépresse et de photolithographie. Définir les couleurs des fichiers, c’est aussi une des étapes de production, qu’on connaissait aussi mal et qui nous a intrigués. Le but de Color Library est de simplifier et uniformiser cette étape, mais aussi de créer des outils pour nous, et pour des graphistes et des imprimeurs. On voulait que ce soit adaptable, mais aussi permettre aux gens d’imprimer de manière différente, par exemple imprimer des photographies multicouches en risographie, ce qui est assez compliqué à réaliser.
Un profil, c’est censé imprimer le plus précisément possible une image. On s’est simplement demandé ce qui se passerait si on essayait de faire l’inverse, exactement comme dans notre travail sur plaques offset. On a vu que ça marchait bien et que ça pouvait intéresser des gens, donc on a décidé de les rendre disponibles, un peu sur le même principe qu’une fonderie typographique. C’est le genre d’outil qu’on aurait aimé avoir et qu’on aurait voulu trouver sur Internet, mais personne n’en vendait, donc on a décidé de le créer nous-mêmes.
Par la suite, on a invité Franz Sigg, un ingénieur spécialisé dans l’impression, qui nous a énormément aidés sur le plan technique, notamment pour bien choisir les couleurs de bichromie qui auraient le meilleur rendu en impression. Lui-même a passé sa vie à optimiser des profils classiques en CMJN, mais quand on lui a expliqué qu’on voulait faire l’inverse, il était trop content ! Les grandes marques de machines offset essaient de standardiser l’impression… Pour nous c’est super, car notre démarche tend à faire l’inverse ; on essaie d’amener une sensibilité particulière au médium imprimé. On essaie de trouver des techniques pour donner un rendu spécial, souvent dans des détails simples. En fait, on perd des informations dans les images pour y gagner autre chose.

OnlineComment comptez-vous développer Color Library?

MaximageColor Library était initialement pensé pour le print, mais on cherche à le faire un peu évoluer. Une autre idée au départ était, certes, de réduire le nombre de couleurs imprimables, mais aussi de garder une impression qui soit au plus proche du spectre. Maintenant, on réfléchit à des profils moins rigoureux et plus conceptuels, qui pourraient rendre les images moins réalistes, mais avec un spectre différent.

Le danger dans les écoles d’art est de fétichiser une esthétique et de s’y enfermer, alors qu’il faudrait plutôt développer une manière de penser et une attitude, qui permettraient à graphiste de s’adapter intelligemment à tous les médiums.

OnlineQue pensez-vous de l’avenir du livre ?

MaximageInitialement, notre projet de recherche était justement de questionner l’état du livre et ses étapes de production. Pour nous, la question était déjà résolue : dans le cas de l’impression offset, le livre va évoluer dans deux directions, des impressions délocalisées très peu chères et en très grand nombre, et puis des impressions « de luxe », à plus petite échelle et de meilleure qualité. C’est surtout les institutions culturelles et les marques de luxe qui vont vers cette seconde option, qui représente une niche. Ce sont des économies particulières où l’on commande des livres qui ne vont pas rapporter d’argent.
Mais cette position de « graphiste d’auteur » est très propre à la Suisse, où les institutions offrent de nombreux soutiens. A Londres, par exemple, l’économie est complètement différente – aucun studio ne pourrait tourner en ne faisant que des livres. Aucun designer ne pourrait se permettre de ne pas toucher au Web. Pour chaque projet, les clients demandent toujours une page Web, et c’est plus pratique pour eux de n’avoir qu’un interlocuteur plutôt qu’un graphiste et un développeur. En Suisse, au contraire, il y a pas mal de jeunes graphistes qui mettent le Web de côté pour se concentrer sur le print. Maintenant, avant de voir une affiche dans la rue, on voit des images et des vidéos de promotion sur Instagram ou Facebook ; ce sont des médiums qui vont prendre de plus en plus de place. Nous, on essaie de proposer des alternatives intéressantes d’où que viennent les commandes, print ou Web. Notre désir, ce n’est pas de devenir des spécialistes de l’impression offset, mais de voir comment transposer notre manière de réfléchir dans différents domaines.
Le danger dans les écoles d’art est de fétichiser une esthétique ou une manière de faire et de s’y enfermer, alors qu’il faudrait plutôt développer une manière de penser et une attitude, qui permettraient à un graphiste de s’adapter intelligemment à tous les médiums.
Ce qui est intéressant dans ce passage à l’ère du digital, c’est que tout le monde se pose des questions dans la chaîne graphique, les choses qui semblaient depuis toujours aller de soi ne sont plus figées, et tous les acteurs doivent se remettre en question, se positionner et réfléchir un peu plus qu’avant.