Diplômé de l’ECAL en Photographie en 2008 et en Art Direction en 2011, Matthieu Lavanchy a affirmé son style dans la photographie de natures mortes et au-delà. Après Paris, c’est à Londres qu’il est maintenant installé, nous avons voulu partager son regard sur cette ville et ses ressorts.
Propos recueillis par Jonas Berthod, Professeur
Photos de Matthieu Lavanchy
Séparation des couleurs par Color Library
OfflineComment as-tu décidé de t’établir à Paris ?
M. Lavanchy J’ai remporté le prix du Festival d’Hyères en 2010, et comme c’est en France, j’ai commencé à recevoir des e-mails pour du travail à Paris, d’abord de la part de magazines, puis c’est une agence qui a souhaité me rencontrer. Ils m’ont dit qu’ils voulaient qu’on entame une collaboration, et du coup je me suis dit : j’y vais. D’une certaine manière, toutes les étoiles étaient alignées, c’est comme si je n’avais pas de raison de ne pas y aller. Par ailleurs, j’avais aussi gagné une bourse fédérale en 2011, donc j’avais un peu d’argent de côté, et comme j’avais peur de ne pas gagner assez au début, c’était idéal. Je suis donc allé à Paris et on a travaillé ensemble avec l’agence, d’abord sur des éditoriaux, puis petit à petit je suis passé aux publicités.
Il faut savoir que les éditoriaux ne sont pas payés, du moins pas directement. Il y a en général un budget alloué au shoot, et tout ce qui n’est pas utilisé revient au photographe – en général ce n’est pas grand-chose, mais comme j’en faisais beaucoup, j’arrivais à gagner autour de 2 000 euros par mois, ce qui suffit pour vivre. Ensuite, il y a différentes sortes de magazines. Les suppléments de quotidiens comme M, le magazine du Monde ou T, le supplément du New York Times ont souvent un plus gros budget, et donc c’est possible de s’en sortir en peu de temps.
OfflineEt au début, tu faisais principalement de la nature morte ?
M. Lavanchy Oui, et aussi de la nature morte à moitié reportage : des sujets sur des gens, ou des lieux, avec une approche de type nature morte mêlant des photos d’objets ou d’architecture.
La DA va plutôt dans ton sens parce que d’une part tu as été choisi pour faire ce travail, et d’autre part tu n’es pas payé pour le faire. Il faut donc que le résultat te plaise et te soit utile.
OfflineEt au niveau de la direction artistique, comment ça se passait ? Tu étais plutôt libre ou les magazines t’imposaient leurs directions ?
M. Lavanchy De nouveau, ça dépend beaucoup des magazines. Au vu de mon expérience, c’est souvent attendu du photographe qu’il fasse la DA, et j’étais donc assez libre. Il n’y a cependant pas de règle : par exemple, lorsqu’un projet se fait avec un styliste, celui-ci joue un rôle important parce qu’il va non seulement choisir les objets, mais aussi veiller à ce qu’un certain quota d’objets apparaisse dans les images. C’est donc semi-dirigé. Mais, finalement, même si parfois ça l’est beaucoup, comme ça a été le cas pour The Gentlewoman, où Veronica Ditting a une direction artistique très forte, la DA va plutôt dans ton sens, parce que d’une part tu as été choisi pour faire ce travail, et d’autre part tu n’es pas payé pour le faire. Il faut donc que le résultat te plaise et te soit utile. C’est une entente entre plusieurs personnes qui décident de travailler gratuitement, et il faut que le projet intéresse tout le monde.
OfflineJe me souviens que tu avais mentionné avoir été assez surpris au début : pour chaque nouveau client ou projet, tu essayais de faire quelque chose de complètement nouveau, mais ce n’était pas très bien reçu parce que tu avais été sélectionné sur la base d’une série précédente et que les clients s’attendaient à une « version » de cette série plutôt qu’à une nouvelle idée.
M. Lavanchy Faire des photos coûte cher, implique une prise de risque et représente beaucoup d’enjeux. Les gens veulent avoir une idée de ce à quoi ça va ressembler. Tout le monde n’est pas non plus doué pour imaginer un concept abstrait sur la base de références, et donc beaucoup de clients vont appuyer leur demande sur les choses que tu as faites auparavant. Aussi, au bout d’un moment, tu deviens identifiable pour un certain type d’image, et les clients viennent vers toi pour ce type d’image.
OfflineEt c’est pour cette raison que tu as décidé de commencer à élargir ta pratique et d’inclure des personnes dans tes images…
M. Lavanchy Oui, la nature morte a d’une certaine manière ses limites. Par principe, comme ce sont des objets, c’est aussi plus commercial parce que tu dois montrer tels produits – des parfums, des accessoires, des montres, des bijoux. Or, le public est plus intéressé quand il voit des gens sur les images, donc le marché d’éditoriaux pour la nature morte est plus réduit que celui pour la mode, et logiquement tu as moins de projets intéressants. Comme je ne suis pas un photographe d’art, les projets d’images qui soient intéressants à la fois pour moi et pour une audience interviennent dans le cadre de commandes de magazines. Et si tu fais strictement de la nature morte, il y a assez peu de projets emballants, tu as assez vite fait le tour. Comme tu ne travailles pas sur les parties importantes du magazine, tu te retrouves relégué à photographier les objets qui n’ont pas été casés dans les pages mode… De plus, les gens aiment les mannequins et les vêtements ; les magazines mettent le budget sur ces projets-là. Ces considérations m’ont aussi poussé à faire cette transition et à inclure de l’humain dans les images. J’aimais aussi l’idée d’un challenge, et de me renouveler. En photographie, il y a des modes, et la nature morte a eu son moment… J’avais aussi envie de faire autre chose puisque les possibilités ne sont pas illimitées. J’ai donc commencé à photographier d’autres choses.
OfflineComment as-tu réussi à passer le pas entre décision et réalité ? As-tu parlé avec ton agent, ou réalisé des séries personnelles pour lancer le mouvement ?
M. Lavanchy J’ai assez naturellement « dézoomé » sur le sujet. J’ai commencé par photographier des mains, ce qui est naturel avec les bijoux. C’est aussi une question de mode. Il y a quelque temps, la tendance était aux objets qui volent, avec beaucoup de post-production. A présent, c’est un style plus relâché, les objets sont posés à même le sol, etc. Mais il y a des produits avec lesquels tu ne peux pas faire ce genre de chose, par exemple des colliers ou des sacs. Et ça semblait donc assez logique d’introduire petit à petit des parties du corps pour animer l’image. J’ai commencé avec les mains, puis élargi avec des accessoires portés. Ça m’a aussi permis de voir comment fonctionnaient les équipes avec lesquelles on travaille – maquillage, stylisme – et de me rendre compte que ce n’était pas si loin de ce que j’avais l’habitude de faire. Ça s’est fait naturellement. Après, les commandes sont venues d’elles-mêmes.
OfflineEt à un certain moment tu as décidé de déménager à Londres.
M. Lavanchy Il y a vraiment un « truc » entre Paris et Londres. C’est très proche grâce à l’Eurostar, et donc les gens de Paris savent qu’ils peuvent solliciter des gens à Londres et vice-versa. Quand j’étais à Paris, un tiers de mon activité se déroulait déjà à Londres – et surtout les travaux rémunérés, comme des publicités. Je n’aurais donc en effet pas eu besoin de déménager à Londres pour des raisons professionnelles. C’est venu de raisons plus personnelles ; j’ai dû quitter mon appartement parisien et ça a été l’occasion de me poser la question de savoir si je voulais y rester, et j’ai réalisé que je n’en avais pas particulièrement envie. Je n’avais à ce moment plus non plus beaucoup d’attaches avec la Suisse, donc la proximité par le TGV n’était plus un facteur. Et finalement je savais que je pourrais continuer d’avoir le même travail à Paris tout en étant à Londres.
OfflineTu avais donc déjà prévu de faire beaucoup d’allers-retours entre Paris et Londres.
M. Lavanchy Oui, je savais déjà. En revanche, je ne m’étais pas rendu compte que ça allait être aussi souvent que ça !
OfflineTu y vas à quelle fréquence ?
M. Lavanchy Environ toutes les trois semaines. Je pourrais aussi choisir de travailler moins à Paris et plus à Londres, mais les projets commerciaux de Londres ne sont pas toujours intéressants, j’en refuse souvent. Tandis qu’à Paris, il reste toutes les maisons de luxe.
OfflineFais-tu encore de la photo d’art ou est-ce quelque chose que tu as laissé de côté ?
M. Lavanchy La manière que j’ai d’appréhender les choses dans ma photographie aujourd’hui est plus libre. Le travail que je fais est commissionné, et donc lié au commerce ; mais je ne le fais pas différemment que si je faisais de l’art. J’ai la même approche et les mêmes libertés, j’utilise mes intérêts, les thèmes qui me paraissent pertinents, pour décider de faire un travail ou non.
Les Anglais aimeraient tout savoir tout de suite, on dirait qu’ils adorent écrire des e-mails. Mais finalement les choses qu’ils veulent sont exactement les mêmes qu’à Paris.
OfflineEt comment ça se passe, à Londres ?
M. Lavanchy Difficile de parler de manière générale : les façons de faire sont plus liées au client qu’au pays. Pour certains jobs commerciaux, certains DA sont très présents et tu es davantage dirigé. C’est assez agréable parce que ça t’enlève une part de responsabilité – si le résultat ne plaît pas au client, c’est leur job de s’en occuper. Pour d’autres projets plus petits par contre, j’endosse la responsabilité de la DA et de la production. Pareil pour les magazines, qu’ils soient établis ou pas. Les magazines anglais bénéficient encore d’une certaine aura, qui provient probablement de leur succès dans les années 1990 ou 2000, mais à présent – bien que se pérennise la vieille garde des ID, Dazed, Another, Pop et Arena –, les choses qui se font ne sont pas très différentes de ce qu’on trouve ailleurs. Dans l’esprit des gens, ils restent importants, mais pour moi ils le sont moins, et je ne travaille pas vraiment pour eux. Les magazines pour lesquels je travaille à Londres, comme Vogue UK ou The Gentlewoman, s’apparentent dans leur fonctionnement plutôt à Vogue Paris par exemple.
Les différences ne proviennent donc pas de la localisation, mais plutôt des secteurs ou segments – par exemple il y a les suppléments intéressants, ceux de journaux comme Le Monde ou Die Zeit ; il y a les magazines de mode avant-gardistes comme Arena ; il y a aussi les magazines plus commerciaux comme Vogue, les magazines arty comme 032c, etc. Et chaque pays a un ou plusieurs magazines dans ces segments. Ceci dit, c’est évident qu’il y a une différence culturelle, et ce de manière générale. La France est un pays latin où les choses se font de manière souple. En Angleterre, les gens sont plus anxieux et il existe une certaine pression. Les Anglais aimeraient tout savoir tout de suite, on dirait qu’ils adorent écrire des e-mails. Mais finalement les choses qu’ils veulent sont exactement les mêmes qu’à Paris.