Martin Creed

Rencontre avec l’artiste Martin Creed, autour d’une pizza et d’une vodka orange. Son travail prend différentes formes : musique, peinture, sculpture et installations. « Je peux commander une margherita ? Je mange de la mozzarella, mais pas d’autre fromage. Est-ce qu’ils ont de la mozzarella di bufala ? Est-ce que je peux avoir une salade verte aussi ? »

Propos recueillis par Christelle Kahla et Marc Camponovo
Bachelor Arts Visuels

Portrait de Matheline Marmy
Bachelor Photographie

OfflineEst-ce drôle d’être artiste ?

M. CreedDrôle ? Je ne me qualifierais pas vraiment « d’artiste ».

OfflinePourquoi ?

M. CreedJe n’aime pas utiliser le mot « art ». Essayer de produire une œuvre d’art, je ne saurais pas par où commencer. Je préfère penser – quand je suis en train d’essayer de faire quelque chose – à créer une chose avec laquelle j’aimerais vivre, une chose qui m’excite. Dans mon travail, je veux m’amuser parce que je pense que la vie est difficile. Je me sens mal souvent et je veux me sentir mieux. Je veux de l’excitation et de l’amusement, et c’est ce que j’essaie de trouver et de faire.

OfflineAlors, tu penses que l’art est fait pour apporter de l’amusement ?

M. CreedDans le champ reconnu comme « art », les gens peuvent faire des choses brillamment stupides. Je pense que c’est très important parce que la vie est stupide. Faire des choses stupides, c’est beaucoup plus vrai que faire des choses « sensibles ». La vie n’est pas sensible ni intelligente, elle est stupide. Ce que certains artistes contemporains font, c’est essayer de redevenir enfants, rigoler. C’est aussi essayer d’être libre de ces choses stupides que les structures de la société te font faire. Il faut se battre pour la vie.

OfflineTu réfléchis beaucoup avant de faire une pièce ?

M. CreedJ’essaie le moins possible. D’ailleurs, ce n’est pas réfléchir à quelque chose, mais vivre avec cette idée.

OfflineTe souviens-tu du moment où tu t’es dit que créer était quelque chose que tu devais absolument faire ?

M. CreedJe me souviens simplement qu’à partir de 12 ans, j’ai commencé à lire beaucoup, surtout des livres sur la psychologie. Freud, par exemple.

OfflineA 12 ans ?

M. CreedOui, des idées assez simples de Freud. A ce moment-là, je ne savais pas si je devais étudier la psychologie, la musique, les arts visuels ou l’architecture. J’ai décidé d’étudier les arts visuels parce que dans une école d’art, je pourrais faire différentes choses, comme écrire et faire de la musique. Si tu es dans une école de musique ou à l’université, en littérature, tu ne peux pas combiner d’autres domaines. Je ne voulais pas sentir de pression, car elle se transforme souvent en frustration. Maintenant, je gagne ma vie avec mon travail et ça devient un problème, car je dois faire des choses pour gagner de l’argent. Parfois, je suis dans la situation où je suis forcé de faire une exposition.

Martin Creed, Hayward Gallery, vue de l’exposition. Photo de Linda Nylind.

Martin Creed, Hayward Gallery, vue de l’exposition. Photo de Linda Nylind.

OfflineEn parlant d’argent et d’exposition, que pourrais-tu nous dire sur le marché de l’art et les foires d’art ?

M. CreedJe ne sais pas… Si quelqu’un veut acheter quelque chose et que je reçois de l’argent pour pouvoir faire mes choses, c’est génial. Mais ce n’est vraiment pas bon d’être trop impliqué dans le marché. Par exemple, si quelqu’un t’achète quelque chose, tu pourrais te dire : peut-être que je pourrais faire une autre chose comme ça et la vendre, vu que ça marche ? Mais ce n’est pas bon. En ce qui concerne les foires, je pense que c’est bien de voir ton propre travail dans des foires parce que c’est un environnement difficile, hostile. C’est appréciable d’aller dans des foires, car tu y vois des choses assez folles. C’est un environnement si brutal que si tu arrives à survivre là-dedans, c’est bien.

OfflineQuelle a été ta pire expérience dans le monde de l’art ?

M. CreedJe n’aime pas les dîners du monde de l’art, ni tous ces gens qui se prennent dans les bras avec des saucisses dans les mains. Le monde de l’art aime la viande. Je n’en mange pas, j’en ai la phobie. C’est ce que j’aime le moins dans ce monde : les dîners. J’essaie d’y aller le moins possible parce que je sais qu’ils seront tous là à me prendre dans leurs bras et, une fois que je serai à la maison, je devrai laver tous mes vêtements, comme si j’avais été violé. Les dîners ont une grande importance dans le monde de l’art puisque c’est de cette manière que les galeristes réunissent artistes et collectionneurs ; c’est pourquoi ils veulent vraiment que tu y sois.

OfflineFaut-il faire une école d’art pour devenir artiste ?

M. CreedJe pense que les écoles d’art sont des endroits où tu peux expérimenter ce que tu veux, même faire des choses stupides. Tu peux balancer des choses au mur et c’est simplement magnifique. Beaucoup d’hommes d’affaires disent qu’une école d’art te prépare à réagir à des situations inattendues, et ça t’aide ensuite, quoi que tu fasses.

– Quel conseil donnerais-tu à un jeune artiste ?
– Qu’il se fasse confiance et qu’il fasse ce dont il a peur parce que c’est probablement très important pour lui.

OfflineQuel conseil donnerais-tu à un jeune artiste ?

M. CreedQu’il se fasse confiance et qu’il fasse ce dont il a peur parce que c’est probablement très important pour lui.

OfflineTu publies beaucoup ton travail sur Internet.

M. CreedOui, c’est facile de publier des choses sur Internet parce qu’elles ne semblent pas réelles. Je suis conscient que les gens peuvent voir mon travail sur Internet et jamais en vrai. Quand on photographie mes travaux, c’est fait pour aller sur Internet, mais c’est très différent de la réalité, notamment à cause de la basse résolution des clichés. La musique communique bien sur Internet, les vidéos aussi. Certaines de mes vidéos – comme le clip Border Control à propos des réfugiés – sont faites pour être montrées sur Internet.

OfflinePenses-tu que c’est important de parler des réfugiés aujourd’hui dans l’art ? Plus qu’il y a dix ans ?

M. CreedJe n’ai pas vraiment d’opinion… J’essaie simplement de faire ce que je sens, de suivre mon cœur et d’être libre. Peut-être que je me sens un peu coupable parce que je vais bien, que j’ai de l’argent et que je peux faire ce que je veux. Ces gens n’ont nulle part où aller, leurs pays sont foutus à cause de la guerre. Je crois qu’on devrait être taxé pour aider ces gens. J’essaie de faire ce que mes sentiments me disent. Ça va probablement avec le fait que je me sente coupable d’avoir de l’argent.

OfflinePourrais-tu nous raconter une blague pour finir ?

M. CreedOui ! Ô mon Dieu… j’essaie d’y penser, mais je n’y arrive pas. Les blagues viennent comme ça spontanément quand on parle, mais là… impossible d’en trouver une.