Louise Bourgoin

Invitée à diriger une masterclass, l’actrice Louise Bourgoin nous a livré son regard sur le cinéma français contemporain et la place qui y est dévolue aux femmes.

Portrait d’Anoush Abrar
Portrait d’Anoush Abrar
Portrait d’Anoush Abrar

Propos recueillis par Carlos Tapia et Pauline Deutsch
Bachelor Cinéma

OnlineQuel a été votre parcours ?

L. BourgoinJe suis diplômée des Beaux-Arts de Rennes et je suis arrivée un peu par hasard dans le monde de la télévision. Après un mois sur Canal+, j’ai été remarquée par Anne Fontaine, une réalisatrice qui m’a fait jouer mon premier rôle dans La Fille de Monaco, en 2008.

OnlinePourriez-vous nous parler du métier d’actrice, dès lors que vous n’avez pas eu un parcours qui vous y destinait ?

L. BourgoinLe métier d’actrice, selon moi, c’est d’essayer de trouver un langage commun avec le metteur en scène. Etre certaine qu’on parle des mêmes choses et qu’on a envie de la même chose. Ensuite, c’est de proposer une diversité dans les intentions qui permette au metteur en scène la plus grande liberté au montage. C’est aussi savoir s’effacer au profit du personnage, ne pas essayer d’expliquer les choses, mais au contraire laisser les mots et la mise en scène prendre en charge la plus grande partie des intentions et de l’histoire.

OnlineEntre votre premier film, La Fille de Monaco, et le dernier, Je suis un soldat, on peut voir une réelle évolution.

L. BourgoinEn sortant du Grand Journal [émission sur Canal+], on m’a proposé des projets plutôt populaires, de grandes comédies comiques, puisque l’on ne me connaissait qu’à travers ce prisme. Il a fallu quelques années avant que me parviennent des rôles dramatiques.

OnlineLes personnages que vous incarnez au fur et à mesure dans vos films, que ce soit La Fille de Monaco, qui est censée représenter les cagoles, et ensuite avec Luc Besson…

L. Bourgoin… l’aventurière.

Online… voilà, un Indiana Jones version féminine, ce sont des rôles assez stéréotypés, puis ça s’affine avec un personnage qui vous ressemble davantage, grâce à un film écrit pour vous.

L. BourgoinÇa s’affine naturellement aussi dans l’écriture des metteurs en scène, qui m’envoient des scénarios puisqu’ils voient de plus en plus de choses de moi, et un rôle en appelant un autre… Maintenant, c’est très rare de tomber sur un scénario où le personnage principal est intéressant, et encore plus avec un premier rôle féminin.

OnlineVous devez recevoir beaucoup de scripts. Comment choisissez-vous ?

L. BourgoinJ’en reçois trois par semaine. J’ai une agent avec qui j’en parle, et quand j’aime une chose, comme Je suis un soldat par exemple, je lui dis : ça, je veux le faire. Elle donne son avis, et son avis compte.

OnlineQu’est-ce qui vous plaît dans les films commerciaux où vous avez joué?

L. BourgoinDans La Fille de Monaco, ce qui me plaisait c’était de jouer une cagole ! Parce qu’il y a plein de choses drôles dans ses phrases, dans son vocabulaire…

OnlineEt dans les films d’auteur ?

L. BourgoinConcernant Un beau dimanche ou Je suis un soldat, c’était peut-être le fait que ce soit une toute petite équipe, qu’on pouvait avoir davantage de liberté pour changer de décor au dernier moment ; on monte à dix dans la camionnette et on va ailleurs. On peut rebondir, on n’est pas aussi prisonniers du script que sur un budget à 30 millions d’euros.

OnlineIl vous arrive de trouver cela ennuyeux ?

L. BourgoinOui, très souvent, parce qu’on attend énormément. Je préférerais mille fois être metteur en scène, aussi parce que je n’ai pas énormément de plaisir à ce qu’on me voit jouer, je ne suis pas une exhibitionniste extrême… Beaucoup d’acteurs avec qui j’ai joué veulent vraiment que les plans ne soient que sur eux ou ont un truc hyper narcissique. Ça m’irait tout à fait d’être derrière la caméra.

J’ai refusé des rôles très bien payés justement parce que le rôle féminin était passe-plat ou stéréotypé… pour dire des phrases qui allaient permettre au héros masculin d’être drôle, par exemple.

OnlinePour revenir à l’évolution des scénarios pour lesquels vous avez été castée, comment voyez-vous la position de la femme dans les médias ? Parce qu’incarner des rôles féminins, surtout des premiers rôles, représente pour une part l’image de la femme…

L. BourgoinJ’en ai complètement conscience. D’ailleurs, j’ai refusé des rôles très bien payés justement parce que le rôle féminin était passe-plat ou stéréotypé… En fait, il n’était là que pour dire des phrases qui allaient permettre au héros masculin d’être drôle, par exemple. Ça, c’est très souvent… C’est important pour moi de représenter des femmes un peu modernes, combatives, différentes.

OnlineAvec quel acteur pensez-vous qu’il pourrait exister une certaine complicité ?

L. BourgoinLouis Garrel, Vincent Macaigne et Benoît Poelvoorde. J’ai vraiment envie de tourner avec eux. Normalement, je tourne en juin avec Vincent Macaigne, et en septembre avec Benoît Poelvoorde. Il reste Louis Garrel…

OnlineVous êtes intimidée par eux ?

L. BourgoinIls ont un jeu qui m’impressionne, mais qui n’est pas cérébral, comme une Isabelle Huppert par exemple. Ils sont très sensibles et j’aime bien les hommes qui osent jouer avec leur sensibilité. Vincent Macaigne par exemple n’hésite pas à bafouiller, balbutier, à être un peu ridicule, ça me plaît beaucoup.

[un jeune réalisateur] devrait profiter d’Internet pour montrer ses références visuelles à ses acteurs, ses références de scènes par exemple, ce qui n’était pas possible il y a vingt-cinq ans.

OnlineSelon votre expérience, de quoi un jeune réalisateur devrait tenir compte pour la direction d’acteur ?

L. BourgoinIl devrait profiter d’Internet pour montrer ses références visuelles à ses acteurs, ses références de scènes par exemple, ce qui n’était pas possible il y a vingt-cinq ans. Il a la chance que tout soit possible, on peut faire un film sans matériel et sans école, on peut faire un film avec un iPhone maintenant, c’est une chance inouïe ! Je lui dirais de ne pas attendre, produire au maximum même s’il n’a pas tout ce qu’il désire. J’ai l’impression qu’on progresse davantage quand on a de la matière à présenter aux autres, ça permet d’avancer plus vite.

OnlinePour revenir à votre parcours atypique – très peu d’acteurs arrivent là où vous êtes sans formation –, comment vous êtes-vous rendu compte que vous préfériez être actrice plutôt que plasticienne ?

L. BourgoinCe sont des échecs qui se sont succédé à la sortie des Beaux-Arts : pour les équivalences aux Arts déco, à Saint-Sabin [École nationale supérieure de création industrielle], le travail que j’avais présenté aux galeristes et qui n’avait pas été sélectionné… ça m’a découragée. Je l’ai pris comme un signe qui disait : ce n’est pas ici que tu vas pouvoir te développer. Aux Beaux-Arts, j’ai été diplômée tout de suite, avec des félicitations, j’avais un bon soutien de mes profs. Mais, finalement, les gens qui étaient avec moi et qui avaient redoublé sont maintenant des artistes contemporains, alors qu’ils n’étaient pas « bons » au sein de l’école. Ils ont persévéré, sans rien gagner, ils ont maintenant 35 ans, ils gagnent toujours le smic, mais ils commencent progressivement à avoir un book avec pas mal d’expos un peu partout. Ce sont beaucoup de galères et je crois que je n’en avais pas le courage. Je préférais avoir de l’argent grâce à un autre métier et pouvoir créer chez moi sans avoir de compte à rendre à un galeriste. Je n’ai pas forcément envie de montrer mon travail, ou alors à mes amis, mais je n’ai pas envie d’exposer. Donc ça me va très bien comme ça.

OnlineVous allez souvent dans des galeries ?

L. BourgoinOui, bien sûr, ça nourrit mon travail d’actrice. Je suis autant inspirée par des performances d’artistes contemporaines pour le jeu que par des scènes avec des actrices.

Les gens qui ont des boulots intéressants autour de moi les ont eus davantage grâce à leurs fréquentations qu’à leurs diplômes.

OnlineAuriez-vous des conseils à donner à des étudiants de l’ECAL, quelle que soit leur section ?

L. BourgoinJe leur conseillerais de se mélanger à l’intérieur de l’école, à l’extérieur aussi – et surtout. De créer le maximum de contacts, parce que les gens qui ont des boulots intéressants autour de moi les ont eus davantage grâce à leurs fréquentations qu’à leurs diplômes. Je donnerais deux mots d’ordre… enfin trois : être curieux, se cultiver, et être poli, respectueux des autres. Avec ça, on peut aller partout.

OnlineVous aimeriez être réalisatrice par la suite ?

L. BourgoinJ’aimerais bien, mais je n’y arriverai sûrement jamais. Beaucoup d’acteurs le disent et ça donne très envie quand on est acteur de passer derrière la caméra… Les metteurs en scène s’amusent beaucoup plus : ils réalisent ce qu’ils ont pensé du début à la fin, avec le montage, la musique, le choix des acteurs, les costumes… C’est incroyable la liberté des réalisateurs par rapport à celle des acteurs. Vous comprenez un peu ma frustration…

OnlineMais que serait le cinéma sans les acteurs ? Ce sont eux qui portent le rêve des réalisateurs…

L. BourgoinC’est vrai, ils incarnent. J’en parlais avec Nicole Garcia, qui gagne bien sa vie en tant que réalisatrice, mais qui est aussi actrice ; je lui demandais : comment tu peux encore être actrice ? Elle me répondait : il y a quand même le plaisir d’incarner, ça passe par moi quand même.