Ancienne étudiante en Bachelor Design Graphique, Louisa Gagliardi est aujourd’hui une artiste basée à Zurich. Nous lui avons proposé un Facetime pour évoquer son parcours depuis son diplôme, en 2012.
Propos recueillis par Federico Barbon et Thomas Prost
Bachelor Design Graphique
OnlineTu as terminé ton bachelor depuis peu, comment a-t-il influencé ta pratique ?
L. GagliardiEn effet, j’en garde quelques traces dans ma pratique. J’ai étudié le design graphique, mais assez tôt durant le bachelor j’ai commencé à faire beaucoup d’illustrations. Le plus souvent possible, j’essayais d’inclure de l’illustration dans mes projets. Donc, dès l’ECAL, j’ai pu développer un style que je continue d’enrichir, notamment avec certains professeurs qui étaient de très bons conseils.
OnlineAs-tu vécu un moment charnière entre la période de tes études et le moment où tu as décidé de te lancer dans l’art ?
L. GagliardiJe n’ai jamais vraiment changé d’avis, c’était plutôt un concours de circonstances. J’avais commencé à faire des illustrations, et en bonne représentante de la génération Internet, j’avais mon site Web où je mettais mes dessins en ligne. Grâce à mon site et au bouche à oreille, ils ont été vus, ce qui m’a permis de travailler en free-lance en tant qu’illustratrice pour des marques et des magazines. J’avais un certain style d’illustration à ce moment-là, un dessin proche de Fernand Léger, avec une grille assez présente, assez planifié si on peut dire.
Ces illustrations m’ont aussi permis de faire des magazines en autoédition, ce qui était une autre façon de montrer mon travail. J’étais alors plus à l’aise pour montrer mes productions sous forme d’un objet lié au graphisme. Mais après deux, trois ans, c’était toujours le même schéma qui se répétait : je recevais un e-mail de quelqu’un avec un de mes dessins (souvent le même d’ailleurs), me demandant de l’adapter. J’avais alors 25-26 ans et je ne voulais pas déjà m’enfermer dans un genre trop précis. Durant l’été 2015, j’ai décidé de tester de nouvelles choses, notamment une série un peu plus soft qui se rapprochait de la peinture. J’ai mis en ligne cette série de trois images, sans réel but précis. Je pense que des galeries suivaient déjà mon travail, car au moment où je les ai postées, deux galeries, la première à New York et la seconde à Dublin, m’ont contactée pour exposer ces images. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pensé ces images non pas en tant qu’objets de communication visuelle, mais en tant qu’objets d’art. Et en aucun cas ce n’était un ras-le-bol envers le design graphique, que je pratique toujours d’ailleurs !
Je viens du monde du graphisme et de l’illustration, pas du monde de l’art.
OnlineEst-ce facile de jongler entre ces deux disciplines ? Par exemple ta collaboration avec la marque Etudes, tu l’as faite en tant que graphiste ou artiste ?
L. GagliardiPour le coup, en tant qu’artiste. Mais c’est effectivement une question hyper importante : à quel moment suis-je devenue artiste ? Est-ce parce qu’on m’a mise dans un autre contexte ? C’est la grande question parce que les gens ont aussi besoin de catégoriser. Si tu dis « illustratrice », dans le monde de l’art ça sonne assez mal, bien que ce soit la vérité. Je viens du monde du graphisme et de l’illustration, pas du monde de l’art. Dans le cas d’Etudes, ils m’ont contactée pour mettre un tableau que j’avais déjà peint sur un vêtement. J’aimais bien l’idée donc je me suis dit qu’il valait mieux faire quelque chose de spécial, notamment pour cette chemise. Il y a donc aussi une dimension « commission », la barrière est assez ténue. La question du support m’intéresse aussi dans ce projet ; ce n’est ni une toile, ni un livre ou un poster, c’est vraiment entre les deux. Du point de vue logistique, c’était un mandat de graphiste, mais j’y ai répondu en apportant ma pratique artistique.
OnlineÇa signifie quoi pour toi être artiste en 2018 ?
Jet Lag, 2019 - gel medium, ink on PVC - 130 × 90 cm - Courtesy of the Artist and Dawid Radziszewski
L. GagliardiJe trouve que les barrières sont plus floues. Avant, les artistes étaient sculpteurs ou peintres ; aujourd’hui, ils peuvent utiliser tous les médiums disponibles, mais le plus intéressant c’est que l’on trouve aussi des photographes/artistes ou des graphistes/artistes, sans que l’art ne soit leur principale casquette. Je pense notamment à Ramaya Tegegne, qui était une très bonne graphiste avant de se lancer dans le monde de l’art, ou Guy Meldem. L’étiquette d’« artiste » est aussi beaucoup moins connotée, on pourrait imaginer qu’un architecte fasse de l’art.
OnlineComment s’établit la différence entre ces deux domaines pour toi ?
L. GagliardiJe trouve que ce sont deux mondes très différents. Dans le monde de l’art, on perd ce rapport clair avec le client. Par exemple, si la galerie souhaite que tu changes des détails dans tes œuvres, elle va user de formules alambiquées pour te le faire comprendre ; contrairement au graphisme, où le client n’ira pas par quatre chemins. Il y a aussi beaucoup moins de transparence en ce qui concerne l’argent dans l’art…
OnlineDans le futur, comptes-tu privilégier le champ de l’art ou envisages-tu de revenir au design graphique ?
L. GagliardiEn ce moment, je me vois me consacrer totalement à l’art. J’ai toujours un client en tant que designer graphique, qui est le musée d’art du Valais, qui m’avait aussi donné mon premier travail. Et comme c’est aussi un musée de ma région, c’est un lien que j’aimerais garder le plus longtemps possible. Même si j’ai changé de voie, j’aime toujours autant faire du graphisme, ça me donne comme une sorte d’équilibre. Le seul problème, avec le recul, c’est peut-être la lenteur du processus. Je suis assez instinctive et je me lasse assez vite des choses, et il y a une forme d’instantanéité dans le monde de l’art qui me plaît énormément, comparée au graphisme.
Inconsciemment, je pense que mon rêve a toujours été d’être artiste, mais mon côté pragmatique m’a fait aller vers le graphisme pour apprendre un métier en quelque sorte, mais je suis très heureuse d’avoir le graphisme dans ma boîte à outils. Je suis consciente que le monde de l’art est assez volatile ; en ce moment, ça marche très bien, mais si dans quelques années j’ai plus de difficultés, j’ai cette porte de sortie – même si je n’aime pas ce terme.
OnlineTu considères qu’avoir étudié le design graphique enrichit ta pratique artistique ?
L. GagliardiNe serait-ce qu’au niveau de la composition, apprendre le graphisme m’a vraiment aidée. Dans mes peintures, je pense qu’on le voit, mais de manière encore plus évidente, pour la scénographie d’une exposition, c’est un vrai plus, même si l’espace est en trois dimensions.
OnlineEn règle générale, dans quelles circonstances rencontres-tu tes clients ?
L. GagliardiPour mes mandats de design graphique, c’est généralement en Suisse, où j’ai l’impression qu’il y a encore cette tradition de rencontrer ton client, de venir sur place, de discuter, surtout quand tu travailles avec des institutions culturelles. C’est très enrichissant de se rencontrer, même si ça peut sembler fastidieux, au premier abord. Sinon énormément de choses se font aujourd’hui par e-mail. Il y a une grande partie de mes clients à qui je n’ai jamais parlé de vive voix ! Et dans l’art, c’est encore plus extrême. Pour mes deux premières expositions, je n’ai rencontré personne physiquement et je n’ai même pas pu me rendre aux expositions en question, c’était 100 % digital. Quand on te parle d’une visite de studio, ça signifie envoyer son portfolio et faire un skype. Il n’y a que les galeristes très intéressés et très old school qui vont venir me voir dans mon espace de travail.
Ça peut paraître stupide, mais il y a une sorte d’approche rituelle avec d’abord des likes, puis finalement un message. C’est vraiment la réalité du milieu de l’art.
OnlineDans le marché de l’art, les réseaux sociaux prennent-ils beaucoup de place ?
L. GagliardiQuand j’ai commencé, Instagram n’existait pas encore. C’était plutôt en fouillant dans les blogs que tu pouvais réussir à trouver une adresse e-mail. Maintenant, il n’est pas rare que je reçoive des messages de la part de personnes intéressées par mon travail directement sur Instagram. Ça peut paraître stupide, mais il y a une sorte d’approche rituelle avec d’abord des likes, puis finalement un message. C’est vraiment la réalité du milieu de l’art.
J’ai toujours un peu de mal avec ce genre d’approche. J’accepte l’idée qu’on me demande mon e-mail par ce biais-là, mais quand on me propose directement quelque chose sur Instagram, je ne trouve pas ça très sérieux ! Mais peu à peu, ça se normalise. On ne s’en rend pas compte, mais beaucoup de galeries vendent directement sur Instagram. Des gens avec de gros moyens voient une image qui leur plaît, envoient un message à la galerie et l’affaire est réglée sans même qu’ils aient vu l’œuvre « en vrai ».
OnlineEt si un jour on te demande de produire une monographie, tu t’en occuperas toi-même ou pas ?
L. GagliardiC’est marrant que vous me demandiez ça, je me posais la question l’autre jour ! Etant donné le respect que j’ai pour les graphistes et le fait que j’en connaisse pas mal, je trouverais très intéressant de collaborer avec quelqu’un qui saurait me faire d’autres propositions. Et je pense que, malgré tout, je suis un peu rouillée !