Gus Van Sant

A l’occasion d’une exposition et d’une rétrospective que lui consacre le Musée de l’Elysée, le réalisateur américain Gus Van Sant a répondu à quelques questions sur ses inspirations et sa méthode de travail.

Portrait d’Adrien Sgandurra, Bachelor Photographie
Portrait d’Adrien Sgandurra, Bachelor Photographie
Portrait d’Adrien Sgandurra, Bachelor Photographie

Propos recueillis par Marvin Armand, Basile Fournier et Damas Froissart
Bachelor Design Graphique

Né en 1952 à Louisville (Kentucky, Etats-Unis), Gus Van Sant est un réalisateur, directeur de la photographie, scénariste et musicien américain. Touche-à-tout, diplômé de la Rhode Island School of Design, passionné de peinture et de musique, il s’affirme dès ses débuts comme un héritier de la Beat Generation avec des films tels que Drugstore Cowboy (1989) ou My Own Private Idaho (1991). Il rencontre ensuite le succès auprès du grand public avec Prête à tout (To Die For, 1995), Good Will Hunting (Oscar du meilleur scénario pour Ben Affleck et Matt Damon en 1998) et A la rencontre de Forrester (Finding Forrester, 2000). En se focalisant sur ses films, des plus mainstream aux plus radicaux, on avait presque oublié que Gus Van Sant était resté un musicien, un artiste foisonnant et un réalisateur atypique, toujours indépendant.

OnlineVous semblez assez calme et timide… Comment êtes-vous lorsque vous dirigez des acteurs et des stars sur un tournage ?

G. Van SantVous savez, ça fait partie du boulot, on fait de son mieux. J’en suis à mon 17e film et j’ai traversé des expériences très différentes sur tous mes tournages. Si quelque chose ne va pas, je peux m’énerver, même si je semble timide !

Dans Elephant, la plupart des mots ont été ceux des acteurs également. Les dialogues n’étaient pas écrits. J’encourage fortement la réappropriation de la scène par mes acteurs.

OnlineQuelle était la direction d’acteurs dans le film Gerry en 2002 ? Vous leur demandiez de respecter le script à la lettre ou vous les laissiez improviser ?

G. Van SantDès l’arrivée dans le désert, une relation s’est créée entre Matt Damon et Casey Affleck, ils improvisaient dans leurs chambres d’hôtel. Je relevais ce qu’ils produisaient par eux-mêmes, puis je l’intégrais dans le script. Dans leurs différentes improvisations, ils ont commencé à employer le terme « Gerry » à chaque fois qu’ils devaient signifier que quelque chose n’allait pas. J’ai donc réemployé ces paroles qu’ils se disaient entre eux dans la vie réelle, ces codes qu’eux seuls comprenaient. Dans Elephant, en 2003, la plupart des mots ont été ceux des acteurs également. Les dialogues n’étaient pas écrits. J’encourage fortement la réappropriation de la scène par mes acteurs. Je pense qu’il ne faut pas trop se soucier du script, des mots exacts. Il ne faut pas montrer qu’on est anxieux et évidemment avoir une bonne relation avec eux. En tant qu’acteur, j’ai parfois été dirigé par de mauvais réalisateurs, j’ai donc compris qu’il faut dire aux acteurs ce que l’on ressent pour que le tournage se passe au mieux.

OnlineQu’en est-il de la confrontation entre personnalités connues et acteurs amateurs ?

G. Van SantLes gens avec le moins d’expérience sont intéressants. Il est important pour moi et mon travail de mélanger acteurs professionnels et inconnus. Je travaille avec les amateurs comme s’ils étaient des professionnels. S’il y a du talent naturel, cela ne demande pas vraiment beaucoup de travail supplémentaire. Mais cela varie vraiment entre les différents films ; par exemple, pour Paranoid Park (2007), ils ont pu lire le script, alors qu’il n’y en avait pas pour Elephant. En général, je leur demandais de se comporter comme dans la vie réelle.

OnlineCe sont les fictions ou les films inspirés de la réalité qui stimulent votre imagination ?

G. Van SantPour Milk ou To Die For, la matière était tellement riche qu’il n’y avait vraiment pas besoin de créer une fiction autour du scénario. La relation entre Harvey et James Franco a été romancée. Les deux projets ont été écrits par un autre scénariste. Pour le tournage de Gerry, Matt et Casey ont émis l’hypothèse que nous empruntions le matériel du tournage d’Ocean’s Eleven [Steven Soderbergh, 2001] pour aller tourner le film dans le désert à côté (rires) ! Mais nous n’allions évidemment pas emprunter leur matériel pour faire un autre film. Donc nous sommes partis avec une petite caméra, nous nous sommes perdus dans le désert et de là est venu le scénario de Gerry.

Je crois avoir commencé à faire du cinéma grâce à ma pratique picturale.

OnlineVous avez fait une école d’art et design ; à quel moment avez-vous décidé de faire des films ?

G. Van SantJ’étais dans une école similaire à l’ECAL, avec beaucoup de pôles différents. Je voulais réussir à passer mon diplôme en peinture et cinéma. J’ai choisi de réaliser uniquement des films. Quand je suis allé dans le pôle cinéma de l’université, un élève plus âgé qui tenait des bobines dans ses mains m’a dit quand je lui ai répondu que je voulais faire les deux, peinture et cinéma : ici, on mange, on dort et on rêve de films. Uniquement. J’ai pensé qu’il avait probablement raison. Malgré cela, j’ai toujours gardé une pratique de la peinture, même sans passer mon diplôme officiellement dans les deux programmes. Cependant, je crois avoir commencé à faire du cinéma grâce à ma pratique picturale. Ce qui m’a particulièrement attiré, c’était la narration : être capable de raconter une histoire avec une dimension dramatique.

OnlineQuelles sont vos inspirations avant de commencer à construire un film ?

G. Van SantJ’ai beaucoup été inspiré par le cinéma expérimental, les films canadiens. Il y avait un artiste qui écrivait sur ses pellicules. J’ai donc commencé à peindre ou dessiner sur les films. Je suis inspiré par les peintres qui travaillent la matière du film, comme Stan Brakhage, Jonas Mekas ou Norman McLaren, avec son film A Chairy Tale (1957).

OnlinePouvez-vous nous donner quelques anecdotes sur votre vie, votre travail ?

G. Van SantLa plupart du temps, quand je suis chez moi, je peux penser, mais pas nécessairement écrire. J’écris le matin et le midi je suis fatigué. J’ai essayé de me lever plus tôt, à 5 heures du matin, mais à 8 heures je ne pouvais déjà plus écrire ; on en revient toujours à ces trois heures.

OnlineLa mort est une thématique récurrente dans vos films. Pourquoi est-elle si présente dans votre travail ?

G. Van SantCe n’est pas quelque chose qui me vient à l’esprit dans un premier temps, ce texte pour Drugstore Cowboy avait été écrit par James Vogel et reprenait les pulp fictions des années 1950 avec pour thème « le crime ne paie pas ». Dans le scénario original, les lumières de l’ambulance s’éteignent quand il meurt, mais la compagnie de production ne voulait pas que les lumières s’éteignent. Même s’il était mort.

OnlineMais la mort est aussi présente dans vos autres films, comme dans la trilogie Last Days, Elephant, My Own Private Idaho, même si c’est de façon souriante…

G. Van SantDans le cas de Gerry, Elephant et Last Days, effectivement la mort est très présente, mais d’une façon tout à fait différente. Dans mes autres films, je n’ai pas l’impression que la mort soit présente, peut-être que vous le ressentez ainsi, mais je n’ai pas forcément remarqué.

Les protagonistes de mes films sont souvent jeunes. Mais ils véhiculent aussi une dimension de vulnérabilité, qui devient une manière de raconter les choses et les événements.

OnlineUn autre élément qui habite vos films est la jeunesse, que vous représentez souvent. Cette jeunesse, on peut aussi la retrouver dans vos photographies au sein de l’exposition au musée de l’Elysée : des acteurs connus comme Matt Damon, mais aussi des inconnus. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la représentation de la jeunesse ?

G. Van SantEffectivement, les protagonistes de mes films sont souvent jeunes. Mais ils véhiculent aussi une dimension de vulnérabilité, qui devient une manière de raconter les choses et les événements. Dans Drugstore Cowboy, le personnage principal devait avoir entre 45 et 50 ans, on avait notamment pensé à Jack Nicholson, mais c’est finalement Matt Dillon qui a dit oui, et nous l’avons choisi, c’est simplement pour ça que le personnage est plus jeune.

OnlinePouvez-vous nous parler de votre dernier film ?

G. Van SantLe film que je viens de terminer s’appelle Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot. C’est basé sur la vie d’un type de Portland, dans l’Oregon, d’où je viens et où se passent beaucoup de mes films. Le personnage est un dessinateur de dessins animés. Dans sa jeunesse, il était alcoolique et a eu un accident de voiture d’où il est sorti paraplégique. Il ne pouvait plus marcher ni bouger ses épaules, et à peine dessiner. Plus jeune, c’était un artiste, assez sérieux. Quand il s’est remis de son accident, il a continué à boire, même handicapé et cloué dans une chaise roulante. Puis il a réalisé que son problème était l’alcoolisme et non sa chaise roulante. Alors il a arrêté de boire, il a continué les dessins animés et il a réalisé qu’il pouvait faire rire les gens. Joaquin Phoenix joue John Callahan, et l’histoire est tirée d’un de ses livres écrit dans les années 1980 et basé sur sa vie. Il y a une certaine satisfaction quand tu termines un film parce que tu as travaillé si dur. Et je suis curieux de voir comment les gens réagiront quand ils le verront. Maintenant, ça ne m’appartient plus, c’est au spectateur.

OnlineVous avez réalisé de nombreux films et votre public attend de voir une patte qui vous est particulière. Vous essayez de répondre à cette attente ou vous vous sentez libre de réaliser ?

G. Van SantA vrai dire, je ne me soucie pas tellement de ce que le film va donner, mais plutôt de ce que je veux dire et de ce que le film va transmettre comme message.

Une critique négative est plus enrichissante pour l’expérience qu’une critique positive.

OnlineLes critiques sont-elles importantes pour vous ou n’y portez-vous pas vraiment attention ?

G. Van SantBien sûr, c’est important… mais j’essaie de ne pas m’obséder avec ça. Parce que la plupart du temps les critiques sont mauvaises. Andy Warhol disait quelque chose sur la taille des mauvaises ou des bonnes critiques : « L’important est la taille de la critique, pas qu’elle soit bonne ou mauvaise. » Je pense qu’il a beaucoup été attaqué au cours de sa carrière, mais le plus souvent, en art, une critique négative est plus enrichissante pour l’expérience qu’une critique positive.

OnlineAujourd’hui, une large partie du public se tourne vers les séries télé. Vous avez d’ailleurs récemment produit la nouvelle série de Dustin Lance Black, When We Rise. Pensez-vous que les nouveaux moyens d’expression – comme les web series ou les séries télé – vont amener le cinéma à prendre une nouvelle direction ?

G. Van SantJe pense vraiment que les séries sont en train d’influencer le monde du cinéma et c’est une bonne chose. Ça donne de nouvelles opportunités à de jeunes réalisateurs, que ce soit à Hollywood ou pour des étudiants comme vous. Tout le monde peut créer aujourd’hui ; je ne sais pas ce que ça donnera, mais les plateformes comme HBO, Netflix ou Amazon sont toujours à la recherche de nouvelles choses. Et je pense sincèrement que les mini-séries que chacun peut produire apportent de la nouveauté. Par exemple, la dramaturgie est très présente au théâtre, mais parfois mise de côté au cinéma. Or, les nouvelles séries peuvent lui donner une nouvelle place et un nouveau sens.

OnlineSi vous deviez donner un seul conseil à un jeune créateur ?

G. Van SantJe pense qu’il faut faire des choses, produire et produire sans jamais s’arrêter. Lève-toi le matin, prends n’importe quel médium et produis sans te soucier de ce qui va plaire ou de ce que les gens vont penser de toi. Car c’est finalement de tous ces rushs et de toute cette création qui n’ont pas forcément de sens que quelque chose de génial sortira.

Portrait d’Adrien Sgandurra, Bachelor Photographie
Portrait d’Adrien Sgandurra, Bachelor Photographie
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