Touche-à-tout sans frontières : c’est ainsi que l’on pourrait décrire Damien Poulain. Sa curiosité sans limite le pousse à étendre son répertoire graphique constamment. Basé entre Paris et Londres, il dirige depuis 2011 la maison d’édition Oodee tout en continuant son travail de designer et illustrateur.
Invité pour un workshop, il a proposé le thème : « construisez chacun votre maison et faisons un village ». Du carton, du bleu, du noir et du blanc étaient à notre disposition. Nous avons interrogé le graphiste et éditeur sur sa méthode.
Propos recueillis par Emilie Bouchet & Astrid Durand
Bachelor Design Graphique
OnlineVotre parcours scolaire a été assez… mouvementé.
D. PoulainJe viens de l’Ouest de la France. J’ai commencé un diplôme national d’arts plastiques à Orléans qui m’a vite déçu. Je me suis aperçu que les étudiants étaient très similaires dans leur style. Ce n’est pas la faute des élèves ; quand on étudie sous l’égide d’un ou deux professeurs, on va facilement prendre leur style. C’est ce qui m’a fait partir à Nancy, dans l’Est, mais je n’ai pas vraiment accroché à l’atmosphère. J’ai donc mis le cap au Sud, en Espagne à Barcelone, pour finalement terminer mes études à Toulouse.
OnlineEt ensuite, vous avez commencé à travailler ?
D. PoulainLa France, ça peut être dur pour commencer… Ce qui m’a encore amené à bouger, cette fois-ci en Allemagne, à Stuttgart, mais je ne parlais pas un mot d’allemand donc j’ai dû apprendre en six mois. Après deux ans et demi, je me suis inscrit à Fabrica, un très beau lieu créé par Luciano Benetton et Oliviero Toscani, dont le principe est d’inviter 60 jeunes de nationalités et disciplines différentes dans le même endroit. On m’a viré au bout de six mois. Peut-être parce que je disais trop ce que je pensais. Mais ça m’a permis de rencontrer beaucoup de gens très créatifs ! L’aspect humain a souvent dépassé le plan scolaire. Pour moi, l’école c’est aussi les connexions avec les gens et les ponts entre les disciplines.
J’essaie de briser le fait qu’on regarde toujours au même endroit ; c’est ce qui se passe avec Internet, qui devient peu à peu notre nouvelle bibliothèque.
OnlineFaut-il être un touche-à-tout pour être le designer idéal ?
D. PoulainDisons plutôt que le designer doit être curieux. J’essaie de briser le fait qu’on regarde toujours au même endroit ; c’est ce qui se passe avec Internet, qui devient peu à peu notre nouvelle bibliothèque. Une bibliothèque, une vraie, c’est un endroit compliqué, qui prend du temps. Il faut y aller et aller dehors aussi. La curiosité, ça permet de s’adapter à son époque, de se tenir au courant de ce qui se passe autour de soi et de ne pas rester bloqué dans son domaine. Je pense que c’est ça un bon designer, quelqu’un de curieux avant tout.
OnlineAprès tous tes périples, pourquoi avoir choisi Londres comme port d’attache pendant une dizaine d’années ?
D. PoulainJ’ai un amour pour Londres depuis très longtemps. J’y allais beaucoup pour les clubs et la musique électronique. On y voit des choses qu’on ne verrait pas ailleurs. Quand tu sors, il y a Björk, Goldie… Cette ville est un endroit underground qui mélange vraiment toutes les cultures.
OnlinePourquoi choisir Paris ?
D. PoulainJe pense qu’il y a des cycles dans la vie. Ce n’est pas tant la ville qui change, mais la personne. D’un point de vue travail, Paris c’était vraiment une suite logique. Il fallait que je rencontre les personnes qui me permettent d’aller plus loin. A Paris, on peut sortir et rencontrer des gens qui t’emmènent dans des endroits très luxueux. C’est d’ailleurs ce contact rapide avec une certaine classe supérieure qui m’a amené à travailler pour des marques de luxe.
OnlineComment en êtes-vous venu à monter une maison d’édition ?
D. PoulainC’était un accident. Je sortais beaucoup dans les vernissages, notamment ceux d’expos photo, et je remarquais que la plupart des photographes exposés étaient masculins. Ce qui est assez étonnant puisqu’il y a beaucoup de femmes dans les écoles d’art… Mais ceux qui réussissent sont souvent des hommes. Donc j’ai voulu faire un projet avec les femmes, les mettre en avant et les publier.
OnlineComment a eu lieu la rencontre avec Viviane Sassen, que vous publiez ?
D. PoulainElle est venue vers moi. Un jour, elle m’a écrit un e-mail en me demandant si une collaboration m’intéresserait.
OnlineQuelle est votre relation avec vos clients en tant qu’éditeur ?
D. PoulainJe dis les choses. Pas méchamment, mais je les dis. Je donne beaucoup le contexte, je dis pourquoi je n’aime pas, ce qui fonctionnerait mieux selon moi. Parce que quand on montre son travail, on entend souvent : ah oui, c’est beau, j’aime bien… Pour encourager, mais ce n’est pas encourager que de mentir ! Je suis sincère avec mes clients, mais aussi avec les photographes. Je respecte leur travail et j’essaie de leur donner beaucoup de feed-back.
OnlineVous procédez de la même manière avec les marques ?
D. PoulainLa semaine dernière, pendant un rendez-vous avec Louis Vuitton, je leur ai dit exactement ce que je pensais des problèmes qu’il y avait, selon moi, dans leur structure. Le lendemain, ils ont écrit un e-mail à tous les gens concernés, ça m’a fait plaisir. Tout le monde écoute quand on dit les choses d’une belle manière, sans mettre le poing sur la table.
OnlineEn quoi consiste le projet que vous préparez avec Louis Vuitton ?
D. PoulainL’univers du luxe, c’est surtout pour moi un moyen de faire des belles choses avec beaucoup de moyens. Mon travail est de distribuer des cartes blanches au sein de ces marques à des artistes que j’apprécie. Ils ont ainsi l’occasion de voyager et de réaliser des projets en divers endroits du monde. Le résultat sera cinq livres mettant en avant cinq artistes. J’aime bien ce rapport art et commerce.
L’important, c’est de penser que tout est économie ; même si tu es artiste, ça reste un business.
OnlineIl est plus rentable d’être éditeur ou graphiste ?
D. PoulainC’est un peu une question piège. Tu peux être un très bon éditeur et ne pas gagner un sou à cause de tes choix éditoriaux. Pareil pour le graphisme. Si tu es un très bon graphiste, mais que tu fais le choix de ne travailler que pour le culturel, tu ne vas pas gagner énormément. L’important, c’est de penser que tout est économie ; même si tu es artiste, ça reste un business. Tu as un studio, des charges à payer… L’école c’est intéressant pour expérimenter, mais la réalité est économique. Personnellement, je pourrais ne vivre que de l’édition, mais j’ai trop de choses à exprimer pour m’y restreindre.
OnlineVous travaillez seul ?
D. PoulainJe suis seul dans le bureau, mais j’emploie des gens à l’étranger avec qui je communique par e-mail. Mais il faut voir la personne de temps en temps. L’échange humain est très important pour se comprendre. Il y a quelque chose dans la conversation qui ne passe pas par e-mail. Au bureau aussi, il faut sortir boire un café et voir d’autres choses.
OnlineVous avez déjà imaginé monter un studio ?
D. PoulainNon, je suis trop libre, j’ai envie de voyager et d’être flexible. Parfois le matin, j’ai envie de venir à 11 heures. C’est un esprit un bureau, et je ne l’ai pas.
Parfois le matin, j’ai envie de venir à 11 heures. C’est un esprit un bureau, et je ne l’ai pas.
OnlineQuel conseil donneriez-vous à des étudiants en graphisme ?
D. PoulainRester curieux. C’est ce qui nourrit son travail et sa personnalité. Ne pas utiliser l’ordinateur comme une source d’inspiration. C’est une fenêtre sur le monde, mais il n’y a pas que ça. Finalement, pour être unique, de nos jours, il faut aller à la bibliothèque et regarder autour de soi. Et pas si loin.
OnlineComment gérez-vous vos réseaux sociaux ?
D. PoulainCe qui m’a permis de manquer ma maison d’édition c’est Facebook, qui venait de se mettre en place, en 2007. J’utilise les réseaux sociaux comme un outil de communication directe et d’échange. C’est pour moi un lieu de découverte et de rencontres. Quand je découvre quelqu’un sur Instagram, je lui demande de nous rencontrer en vrai, tout de suite. Je prends un café. En fait, je prends des cafés tout le temps ! Mais ce que génère Instagram, c’est de voir ce qui se fait et de se dire wow, je vais le faire ! Le problème, c’est comment ne pas tomber dans le piège. La culture et la curiosité personnelles permettent de l’éviter et d’avoir ses propres sources d’inspiration.
OnlineAvez-vous un dicton ?
D. PoulainGive to get. Donner pour recevoir. Et pour le publishing c’est Publishing is a necessity. Ça doit être une nécessité de publier, et pas autre chose. Pour ce qui est du livre, on vit dans un monde de plus en plus digital et ça ne sert à rien de faire beaucoup de livres. Il faut juste l’essentiel. J’ai une tendance un peu minimale, à faire moins mais bien. Du coup, ça marche. Vu que c’est moins, c’est bien pensé et tu peux gagner ta vie.