Claudia Comte

Claudia Comte a été invitée à donner une conférence à l’ECAL le 14 mai 2019. Nous avons pu l’interviewer le lendemain à Genève, au vernissage de son exposition « Bunnies & ZigZag », à la Galerie Joy de Rouvre. On s’est installées en terrasse pour boire un verre, et cinq minutes plus tard, son compagnon Samuel Leuenberger nous a rejointes.

Propos recueillis par Mara Meier & Evelyn Vonesch
Bachelor Arts Visuels

OfflineComment a commencé ta carrière d’artiste ? Quel a été le coup d’envoi ?

C. ComteJ’étais dans une classe très motivée à l’ECAL, où on se bougeait vraiment les fesses. On se tirait vers le haut les uns les autres, en organisant dès la première année des petites expositions. Le week-end, je travaillais au Château de Morges, le musée militaire du canton de Vaud. La deuxième année, le directeur du musée m’a expliqué qu’ils n’avaient pas d’exposition prévue et que je pourrais organiser quelque chose. On était, disons, huit étudiants, ça a été notre première exposition institutionnelle, qu’on a appelée « Morgenstern ». En collaboration avec le département de design graphique de l’ECAL, on a créé des affiches et des flyers qui étaient visibles partout dans la ville. C’est une collaboration qui dure encore aujourd’hui – je travaille toujours avec Adeline Mollard.
Juste après ma sortie de l’école, j’ai eu la chance d’obtenir la résidence que Pierre Keller avait mise en place à la Cité Internationale des Arts de Paris. Ça a été génial parce que je me suis retrouvée directement dans le monde du travail. Je pense que c’est très important de commencer à se construire un réseau quand on est à l’école. Mais tout de même, ne pensez pas trop au monde professionnel, vous finirez dans tous les cas par vous y retrouver, il faut plutôt se concentrer sur le développement de votre travail, sur les raisons pour lesquelles vous faites ce que vous faites et sur les techniques que vous utilisez.

Je suis d’accord avec Bruce Nauman, ce serait super si on ne touchait pas la nature, mais c’est impossible. Quoi qu’on fasse, on crée une empreinte.

OfflineA l’ECAL, tu as commencé à travailler la sculpture sur bois et tu as développé cette pratique pendant ta résidence à Paris. Aujourd’hui encore tu travailles surtout le bois et d’autres matériaux naturels. En ce qui concerne ta pratique et par rapport à l’œuvre écrite dans le ciel de Bruce Nauman Leave the Land Alone (1969/2009), comment envisages-tu ta position d’artiste ?

C. ComteJ’aime mettre en relief ce qui nous entoure, ce qui vient de notre environnement naturel. Je ponce parfaitement mes sculptures pour révéler l’intérieur du bois, ses structures et ses couleurs. En le brûlant, par exemple, on crée un motif qui donne au tronc un aspect tellement sauvage et beau, et avec l’odeur en plus, ça crée une expérience entièrement nouvelle. Je suis d’accord avec Bruce Nauman sur le fait que ce serait super si on ne touchait pas la nature, si on pouvait laisser les animaux tranquilles, mais c’est impossible. Quoi qu’on fasse, on crée une empreinte. Je préfère donc utiliser des ressources naturelles plutôt que des matériaux artificiels.

OfflineTon compagnon Samuel Leuenberger est curateur. Comment influence-t-il ton travail, et inversement qu’en apprend-il ?

C. ComteLa vérité, c’est que toutes les idées viennent de moi, c’est moi qui tire les ficelles ici. Je lui demande secrètement d’inviter chaque artiste qu’il invite (rires). Non, sérieusement, j’ai tellement de chance d’avoir Samuel parce qu’il nourrit beaucoup mon travail. Donc mon autre conseil pour les étudiants, c’est…

Offline… de sortir avec un curateur ?

C. Comte(rires) Non, mais de suivre le travail des curateurs que vous aimez, d’essayer d’entrer en contact avec eux pour qu’ils vous donnent des conseils et des informations.

S. Leuenberger Quand je monte une exposition, je travaille généralement avec des artistes sur une très courte période, donc on n’a pas vraiment le temps d’approfondir les sujets. En revanche, nous avons eu le luxe de suivre nos travaux respectifs sur un temps long, et de regarder les choses de deux points de vue. Je les regarde depuis la perspective d’une exposition, tandis que l’artiste se concentre avant tout sur son propre rôle au sein d’un réseau plus vaste. Quoi qu’il en soit, on a de moins en moins travaillé sur des projets communs d’exposition parce que les gens n’aiment pas que vous collaboriez en tant que couple, ils ne vous prennent pas au sérieux, ni comme curateur ni comme artiste. Maintenant, on travaille beaucoup plus au niveau conceptuel et sur des projets à plus petite échelle.

OfflineLes œuvres de Claudia interagissent souvent avec le spectateur et exploitent pleinement l’espace d’exposition. Comme dans celle de Copenhague, où un danseur réactive la pièce, où à la Fun Fair de Bâle, où les gens pouvaient littéralement jouer avec les œuvres. Ça pourrait être un exemple de la façon dont vous vous influencez réciproquement ?

S. Leuenberger Je pense que le travail de Claudia a toujours été très interactif, et ce qui m’a intéressé depuis le début c’est sa modularité, à un niveau conceptuel. Il implique toujours le public en tant que participant actif, ce qui peut parfois même changer le résultat final. Par exemple, des peintures en plusieurs parties que l’on peut repositionner ou des estampes que l’on peut tourner sont stimulantes à la fois pour le curateur et pour le collectionneur.

C. ComteJe suis d’accord.

OfflineTu as dit un jour dans une interview que tu étais pour l’art démocratique. Tu as proposé de couper les troncs, après l’exposition, pour qu’ils puissent entrer dans n’importe quel salon, et tu fais des œuvres qui sont aussi accessibles aux enfants. Est-il vraiment possible de faire de l’art pour tous ?

C. ComteFaire de l’art pour tous ne veut pas forcément dire de l’art que tout le monde puisse acheter. Toutefois, dans cette exposition, nous avons des sérigraphies qui coûtent chacune 1500 CHF, ce qui reste bien sûr cher, mais pas inabordable. Je pense souvent à mes parents, j’essaye de faire des choses que je peux leur expliquer, qu’ils peuvent apprécier et comprendre. C’est une référence importante pour moi ; mon travail devrait être ouvert à tout le monde, y compris aux enfants, qui deviendront un jour des adultes. J’aime l’idée d’aider les enfants à accéder à l’art contemporain dès leur plus jeune âge. C’est peut-être lié à mon master en pédagogie.

S. Leuenberger D’une certaine manière, toute œuvre d’art est démocratique quand on s’intéresse à l’art. On devra peut-être seulement consacrer davantage de temps à la regarder et l’appréhender. Le problème, ce n’est pas tant l’œuvre que l’on regarde, que l’intérêt qu’y prend la personne qui la regarde.

OfflineBeaucoup d’articles, y compris dans le dernier König Magazine, te représentent en femme à la tronçonneuse. Te reconnais-tu dans cette image ?

C. ComteJohann König voulait vraiment me montrer avec la tronçonneuse parce qu’il pensait, et je suis d’accord, que beaucoup de gens ne comprennent toujours pas que je manie moi-même la tronçonneuse. En fait, j’ai fait très attention à ne pas me faire photographier avec la tronçonneuse jusqu’à récemment aussi parce que beaucoup de gens voulait que je fasse des performances avec – ce qui n’est vraiment pas le sujet évidemment. C’est juste l’outil qui me sert à créer les sculptures, donc oui, au final, c’est une image qui me correspond.