Chris Kabel

Chris Kabel est un designer hollandais. Diplômé de la Design Academy Eindhoven en 2001, il s’installe ensuite à Rotterdam, où il commence à développer sa pratique de designer, centrée sur les nouvelles technologies et l’expérimentation. Il travaille avec et pour des marques de design, des architectes, des institutions culturelles, des magazines et des galeries de design. Après dix ans d’enseignement à l’ECAL, il a décidé de partir, nous donnant cette interview.

Propos recueillis par Clémence Buytaert & Jeanne
Bachelor Design Industriel

OfflineParle-nous de ton studio!

C. KabelAprès mon diplôme, je pensais retourner à San Francisco, où j’avais fait mon stage, mais mon projet de diplôme, la Sticky Lamp, a eu beaucoup de succès. En fait, elle est encore en vente aujourd’hui. On a donc dû en produire une centaine pour le salon du meuble à Milan, et il y a eu beaucoup d’expositions. Je pensais travailler un peu chez IDEO à San Francisco, mais j’ai finalement décidé de travailler à mon compte. Au début, j’ai dû faire des boulots pour d’autres designers à côté, je faisais des maquettes pour des cabinets d’architecture. Et finalement je m’en sortais de mieux en mieux, alors j’ai loué un lieu à Rotterdam et j’ai eu un premier petit studio merdique !

OfflineQuel est le point de départ de tes projets, qu’est-ce qui t’inspire ?

C. KabelJe pars souvent d’une intuition, d’une curiosité. Puis, très vite, j’ai besoin de voir si mon pressentiment fonctionne, alors je commence à faire de petits tests avec des matériaux. Si ça marche, je continue… Ce qui m’intéresse c’est de voir comment les matériaux se comportent et comment je peux en tirer le meilleur, d’une façon légère, efficace et élégante.

OfflineTravailles-tu seul ?

C. KabelJ’ai mon propre studio, avec un assistant, et généralement un ou deux stagiaires. Je peux faire pas mal de trucs, mais pas de céramique, de verre, ni de métal. Pour chacun de ces matériaux, je trouve des artisans pour m’aider. Ça produit des discussions intéressantes et les pros m’aident à améliorer mes projets. C’est vraiment pour les créations destinées aux galeries, pour les pièces artistiques et les interventions. Si je travaille pour une entreprise, c’est un peu différent, là il faut beaucoup dialoguer : sur ce que eux veulent, et sur ce que moi je veux.

OfflineC’est de cette manière que le Recomposed Bamboo qu’on a vu à Milan a commencé ?

C. KabelOui. L’université de Shanghai m’a demandé de trouver de nouvelles façons de perpétuer l’artisanat du bambou. Mais je n’écoute pas vraiment les commandes (rires), je propose souvent quelque chose d’autre, si c’est plus intéressant. J’ai senti qu’il y avait là cette possibilité. Ça m’intéressait de voir si je pouvais jouer avec l’idée que les gens se font du bambou. On pense toujours que c’est droit et qu’ensuite il y a une petite encoche, puis c’est droit, puis il y a une encoche, et c’est rond. Donc j’ai coupé la plante en trois parties que j’ai retournées et recollées ensemble. On obtient ainsi des profils totalement différents, plus résistants que le bambou en tant que tel. Je viens de recevoir une bourse pour poursuivre cette recherche en Hollande ; j’y travaille parce que la communication y est beaucoup plus facile. En Chine, c’est très compliqué, ils ont des attentes tellement différentes concernant la production, ils veulent des résultats immédiats, il n’y a pas de temps pour expérimenter… Je suis donc revenu en Hollande pour continuer mes recherches et y trouver des entreprises capables de produire à une échelle industrielle.

L’expérimentation c’est parfois compliqué parce qu’on devient presque un inventeur, et en même temps il existe des entreprises bien meilleures pour l’invention, mais qui ont moins de sensibilité aux matériaux.

OfflineAs-tu des budgets spéciaux pour l’expérimentation ?

C. KabelJ’ai donc reçu une bourse du gouvernement hollandais pour ce Bamboo project. D’abord, je dois convaincre les gens. Je vais faire un tabouret, mais c’est peut-être davantage pour prouver que ça marche, plutôt que pour dire qu’on peut vraiment en faire une série. Je vais aussi faire une échelle parce que le bambou est très performant, on peut vraiment utiliser la résistance du matériau au maximum. L’expérimentation c’est parfois compliqué parce qu’on devient presque un inventeur, et en même temps il existe des entreprises bien meilleures pour l’invention, mais qui ont moins de sensibilité aux matériaux. Mais j’aime beaucoup que ça se passe comme ça.

OfflineAs-tu aussi eu une bourse pour ton projet Seam ?

C. KabelOuais, j’ai eu une bourse. Une petite, qui a juste payé l’utilisation de la machine au laboratoire de recherches techniques.

OfflineEst-ce dur de faire de l’expérimentation et de la recherche sans financement ?

C. KabelOui, il faut de l’argent pour ça. Parce qu’à côté des machines, il y a beaucoup de chercheurs et de techniciens, et il faut les payer. Et quand tu obtiens le résultat, c’est un truc très expérimental… c’est intéressant, mais, pour ce projet j’ai fait trois chaises et un banc. Ce n’est pas un modèle commercial rentable. En revanche, certains projets sont bons pour ton image comme designer. Ça montre plus clairement quel genre de designer tu es, les gens se disent « ah d’accord, ce type s’intéresse vraiment aux matériaux et à l’exploration… »

OfflineEt tu es ce type ? (rires)

C. KabelOuais, mais en même temps j’aime bien faire des lampes que tu peux coller au mur, ou des choses très directes. Donc je joue des rôles multiples, je ne cherche pas seulement des formes, je ne fais pas seulement de la recherche, j’écris aussi des articles. J’aime faire différents genres de choses, mais toujours en lien avec le design.

Parfois, tu ne peux pas vraiment imaginer la vie qu’aura ton projet, jusqu’à ce qu’il soit vraiment sorti.

OfflineQuel est le projet dont tu es le plus fier ?

C. KabelJe pense que c’est la chaise Mesh. J’ai beaucoup aimé ce projet parce qu’il s’est fait naturellement. Je suis parti du processus de fabrication de grillage en métal déployé, et toutes les décisions ont suivi l’une après l’autre. C’était comme si je n’avais eu à en prendre aucune, car si je plisse le métal dans tel sens, il prendra telle forme… Un autre projet dont je suis très fier c’est mon projet de diplôme, la Sticky Lamp, qui est toujours en vente. Je trouve ça vraiment cool que tout le monde puisse encore l’acheter. Quelqu’un a pris une photo de la lampe à côté de son lit, ce à quoi je n’avais jamais pensé en la faisant. Mais en fait c’est parfait comme place et comme fonction pour cette lampe. Normalement, quand tu as une table de nuit avec ta lampe et ton verre d’eau dessus, tu fais tout tomber pendant ton sommeil. Avec celle-là, qui est collée au mur, tu allonges le bras ou la main contre le mur et tu trouves facilement le bouton. Cette photo m’a soudainement rendu la fonction de la lampe plus claire. C’était une belle découverte. Parfois, tu ne peux pas vraiment imaginer la vie qu’aura ton projet, jusqu’à ce qu’il soit vraiment sorti.

OfflineComment partages-tu ton temps entre les projets de production en série et les éditions limitées pour les galeries ?

C. KabelCe qu’il y a de bien avec le champ du design, c’est le nombre de domaines différents où tu peux intervenir. Je ne veux pas seulement être un designer de produit. J’équilibre ça avec l’enseignement, ce qui me permet d’avoir des assistants, comme ça je peux partir et mener ces projets expérimentaux, et aussi des projets d’architecture, qui suivent le processus de construction d’un bâtiment – il y a donc souvent des moments où on n’a rien à faire et ils payent toujours bien. Les bourses aident parfois. Je touche aussi des droits sur la vente de mes produits… insuffisamment pour en vivre. Mais je n’ai pas un train de vie excessif.

OfflinePourquoi as-tu commencé à enseigner ? Qu’est-ce que ça t’a apporté ?

C. KabelJe me suis surtout beaucoup amusé. L’ECAL va vraiment me manquer. Ça a été une décision très difficile à prendre, mais je pense qu’après dix ans il est temps de faire autre chose. Sinon ça devient trop facile pour moi. Je voulais un peu plus de défi. J’ai vraiment commencé à enseigner par enthousiasme, avec la curiosité de parler d’autres choses qui m’intéressent. Je voulais voir si je pouvais éclairer, inspirer, aider des gens à résoudre des problèmes, des gens qui avaient à cette époque presque mon âge. Quand j’ai commencé à enseigner à la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam, j’avais 29 ans et mes élèves 25. Je me souviens de la première fois où je suis entré dans la salle, j’aurais pu être un des étudiants… Je me suis dit « ah, je dois faire le prof maintenant », être sérieux et bien jouer mon rôle. Puis je me suis rendu compte que je ne pourrais être personne d’autre que moi-même.