Atelier Oï

Atelier Oï associe architecture, architecture d’intérieur, design et scénographie. Fondé en 1991 par Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond, ce studio fait aujourd’hui partie du paysage international de la création. Ceux qui partagent depuis 25 ans une passion pour les rencontres artistiques et humaines ont donné une masterclass à L’ECAL, dont voici quelques extraits.

Propos recueillis par
Emilie Bouchet – Bachelor Design Graphique
Rodolphe Pupille – Bachelor Design Industriel

Pouvoir penser avec les mains, c’est d’abord pouvoir sentir la matière, ce qui est un élément clé dans notre manière de travailler. C’est quelque chose qu’on pratique depuis le début avec nos projets et on n’est pas près d’arrêter. Quand on la manipule, on découvre dans la matière des comportements physiques, des choses difficiles à envisager sans ce toucher.
 
Dès le départ, nous avons pensé d’une manière collective. Quand nous créons quelque chose, nous créons des émotions, mais jamais seuls. On apprend toujours quand on travaille collectivement. Donc quelque chose qui fait référence à la nature d’une manière organique, c’est la manière dont nous pensons le travail.
 
Notre team rassemble désormais plus d’une trentaine de personnes: graphistes, designers, architectes, scénographes, ingénieurs… nous avons toujours travaillé et navigué à travers les disciplines et les échelles. C’est aussi très lié au travail de la matière et sa transformation. Quand on travaille la matière, on crée des structures avec lesquelles on peut construire différentes choses – ce qui nous laisse la liberté de penser qu’on peut passer d’une échelle à l’autre.
 
Nous faisons souvent référence à la musique et au jazz. Typiquement dans le jazz, quand on joue en trio, donc avec trois instruments, on ne fait qu’un et l’important, à la fin, est de faire une belle pièce, comme en design. Pour pouvoir bien jouer, il faut savoir écouter l’autre, suivre une intensité, mais il faut aussi savoir s’arrêter de jouer. Parfois dans un projet, il faut savoir geler une discipline ou en mettre en avant une autre. Il faut apprendre à se délier au projet, ce n’est pas un one man show mais un travail collectif.
 
On a tous les trois des personnalités différentes, des passions et des intérêts différents. Depuis toujours, Armand est fasciné par la voile, il a appris la construction des bateaux et, à travers le travail de la matière, il a développé sa capacité à construire du mobilier. Aurel, lui, c’est le travail manuel et moi, ma passion, c’est la musique ; ce sont des centres d’intérêts différents mais qui se rejoignent. On se rend compte que ces différences nous font avancer et se transforment en points communs.
 
La Neuveville est un petit village de 4000 habitants ; c’est très joli, mais ce n’est pas là que ça se passe, il faut aller voir ailleurs. A travers plusieurs opportunités, on a dû créer une collection de mobilier pour une chancellerie, et le projet a été exposé à Paris. Ce qui est particulier en Suisse, c’est qu’on doit presque aller faire ses preuves ailleurs, au-delà des frontières, pour qu’on se dise « Ah! on pourrait leur demander de faire quelque chose ! »
 
La communication et les rencontres sont très importantes. Par exemple, la journaliste qui avait écrit l’article sur ce projet exposé à Paris est devenue, quelques années plus tard, la directrice de Swatch puis de Calvin Klein. Et c’est aussi suite à cet article qu’on s’est retrouvés un jour à travailler ensemble. Dans le parcours, les rencontres et finalement ce qu’on construit avec les gens, la confiance qu’on crée, sont le plus important. Comment se développer et construire un réseau est primordial.
 
Après plusieurs projets, dont un avec IKEA, les Suisses ont commencé à se réveiller, et c’est toute l’industrie du meuble qui a changé. La partie francophone est devenue aussi importante que la partie alémanique dans le domaine du design.
 
Les rencontres sont la clé pour se développer et réaliser les choses. On apprend des autres, à travers les études, les rencontres, les workshops…
Typiquement, l’ECAL est une école de grande qualité, mais c’est surtout une école avec un réseau incroyable. Même nous, à travers l’école, on a pu développer des projets avec une visibilité importante. Faire partie de la sélection des designers est une chose très importante pour la suite.
 
Après 10 ans, on a fait un livre pour nous, à dix exemplaires. Comme un abécédaire de tous nos projets. On a mis tout à plat pour comprendre où on en était et pour avoir une vision globale. Parfois, on n’est pas sûr de comprendre les liens entre les différents projets et ça nous a permis d’aller encore plus loin. Lorsque nous avons créé une grande toiture sur l’Arteplage de Neuchâtel [l’un des quatre sites de l’Exposition Nationale de 2002, ndlr], nous nous sommes inspirés d’une échelle petite, une lampe, pour arriver à une toiture. Cette structure était intéressante sous sa forme statique mais aussi sur le plan esthétique.
 
Le processus de création n’est pas chronologique ; par exemple prenons un thème comme jouer avec un ruban. On nous invite pour faire une scénographie au Designer Saturday et en se baladant, on tombe sur des bobines ; ça a fait un flash et on a décidé de travailler avec. Cette matière est normalement utilisée pour des finitions de tapis, mais on a voulu en faire des tressages, qui nous ont ensuite servi sur des projets pour Vuitton.
 
Dans notre manière de travailler, il y a toujours un moment de contemplation et d’émotion. Quand on travaille les matières, on les met en scène pour ne plus être le designer amoureux de son œuvre mais l’observateur de ce qu’on a créé. Dans ce moment-là, les projets passés nous nourrissent pour la suite. Selon nous, la forme suit l’émotion.
 
Cela fait maintenant dix ans qu’on est au motel, un bâtiment protégé par les monuments historiques. C’est un vieux motel qu’on a réhabilité pour en faire un atelier ; on a gardé l’enseigne en y rajoutant un i. On a même conservé certaines chambres… on aime parler d’hospitalité créative. C’est intéressant que les gens avec des cultures très différentes y viennent. On a voulu transformer le bâtiment pour avoir les matières au plus proche de nous. Un peu comme au marché de produits frais, chacun peut observer et partager. Et puis, ce motel est un espace important car on met les choses en scène et on peut les vivre, les comprendre, en profiter.
 
On a aussi transformé un petit bateau, parce que l’eau est un espace où il n’y a pas de frontières, de limites, où tout est possible. Si on rentre dans ce bateau avec des clients, on est dans un autre espace, ça crée une atmosphère où il n’y a pas de limites, on s’isole du traintrain quotidien.
 
En travaillant une matière comme le cuir, pour un canapé chez B&B par exemple, on se rend compte du grand nombre de chutes et de déchets. On a donc fait un travail de récupération des chutes pour en créer des peaux, qui nous ont permis de créer une collection de mobilier pour B&B. Ce n’est pas évident au début de faire comprendre aux marques ou aux éditeurs le but de notre travail, notre rapport au savoir-faire et à la matière.
 
Le Japon est aussi une référence forte pour nous. Le savoir-faire fait partie de la culture, ils préservent la transmission d’une génération à l’autre. La qualité en devient extrême, c’est au minimum 6 ou 7 générations dans ces entreprises. Ce processus nous fascine, on essaye de se rapprocher au maximum de ces valeurs car en occident on a tendance à les perdre. A force de vendre et de produire en quantité, on perd le savoir-faire. C’est aussi ce qui est motivant dans ce métier : passer d’un savoir-faire à l’autre.
 
On a trouvé un mot, pour décrire notre démarche, parce qu’on navigue beaucoup entre l’architecture et le design : finalement, on se voit bien dans l’idée de « storytecture ». On travaille la matière et les structures en lien avec leur histoire. Et c’est ce qui va guider et va exprimer la forme ; C’est l’essence de notre travail.