Alain Cavalier

A l’occasion du festival Visions du Réel, qui s’est tenu à Nyon du 13 au 21 avril 2017, le réalisateur Alain Cavalier a donné une masterclass à l’ECAL. Morceaux choisis.

Propos choisis par Maxime Beaud et Adèle Beaulieu
Bachelor Cinéma

Illustration de Clio Hadjigeorgiou
Bachelor Design Graphique

Alain Cavalier débute sa carrière par la réalisation de nombreux films à gros budget et avec une distribution prestigieuse : Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Alain Delon… pour se diriger – à l’arrivée de la caméra numérique – vers un cinéma beaucoup plus intimiste.

« La caméra vidéo est arrivée et je me suis précipité dans la rue, sur les visages qui m’entouraient, dans le capharnaüm de la vie. »

La petite caméra DV lui permet d’échapper aux contraintes de production. C’est une « liberté économique, la seule qui vaille », la possibilité de filmer seul chez soi ou de partir, n’importe où, et de tourner au gré de l’inspiration, des circonstances et des rencontres ; un bouleversement dans les habitudes et les règles imposées par le cinéma depuis plus de cent ans. Il attrape alors une petite caméra, la glisse dans son sac et ne la lâche plus. Il part faire ses films seul, et à partir d’un certain moment ne se définit plus comme cinéaste mais utilise le terme « filmeur ». Il découvre la possibilité de capturer des images librement, sans risquer de perdre un instant précieux. Il explique qu’il devient alors lui-même caméra : ses yeux enregistrent et analysent tout ce qu’il voit, ils cadrent sa vision ; Cavalier se demande en permanence comment il filmerait telle ou telle personne, tel endroit, tel objet, tel détail de la vie qui l’entoure. Pas étonnant que, très vite, il se tourne vers le documentaire, le privilégiant à la fiction. Mais à quoi bon parler de liberté à qui ne sait se l’approprier ? C’est le regard, l’œil de la caméra qui est engagé.

« Quand j’entre dans une pièce, je me mets toujours dans un endroit où je pourrais éventuellement filmer. »

Il ne veut pas être pris en photo, et encore moins filmé. Pourtant il est très beau. Dans notre souvenir, il porte un pull bleu clair, que nous associons à la couleur de ses yeux. Nous irons vérifier plus tard ; ils sont bien bleus. Il rappelle ces grands acteurs emblématiques, qui n’ont pas été choisis par hasard. Charlotte Rampling, Jean Marais, Julie Andrews, Clint Eastwood. Ce regard que nous lui portons naît avec le sien. C’est avant tout l’amour du corps qu’Alain Cavalier met en œuvre dans ses films, et petit à petit dans ses documentaires. L’amour du corps, et surtout de l’autre. L’amour du geste de filmer, de regarder, de montrer. Plus encore qu’un corps ou qu’une personne, c’est une véritable matière filmique que recherche en permanence Cavalier.

Montrer un chat à un comédien et lui dire : voilà comment on sort du champ et comment on entre bien dans le champ.

Nous noterons d’ailleurs ce conseil à tout acteur : « Montrer un chat à un comédien et lui dire : voilà comment on sort du champ et comment on entre bien dans le champ. Parce qu’en général ils n’ont aucun sens de la musique, qui est un déplacement et une sortie de champ. Tout d’un coup, leur corps s’efface. »

Nous nous souvenons de ses portraits de femmes en 1987 puis en 1991. Il présentait alors à Nyon six Portraits XL : Jacquotte, Daniel, Guillaume, Philippe, Bernard, Léon. Dans ces films, le plus minuscule sujet est regardé avec intérêt, comme s’il tendait l’oreille pour écouter l’histoire que la plus petite chose aurait à raconter, ce réel qui se laisse si difficilement maîtriser. De son refus de tout cacher émane sa présence. Sa voix d’abord nous rappelle celle d’un ami dont on se surprend à aimer la compagnie. Ses mains de « travailleur manuel sur le tard » nous étonnent, à manipuler avec délicatesse les objets méthodiquement disposés devant lui. Et nous, nous regardons au-dessus de son épaule. Nous prenons ce qu’il nous donne à voir, captivés par la sincérité de ses rencontres. Pourtant, son visage nous échappe, c’est toujours l’image manquante, celle qui se reflète, mais ne fait jamais face. Aujourd’hui, il est devant nous.

Après un atelier avec des étudiants de l’ECAL, Alain Cavalier parle de son ressenti. Encore une fois si ancré dans sa pratique cinématographique : « Vous êtes devant quinze jeunes gens, d’abord ça vous rappelle quand vous étiez à l’école de cinéma vous-même. Vous cherchez celui qui vous ressemble le plus à l’époque. Il y a des visages qui sont plus présents, d’autres moins. On passe son temps à être au spectacle plutôt qu’à écouter et à dialoguer, c’est-à-dire davantage à faire son boulot de cinéaste que répondre à des questions. »

Pour Cavalier, filmer c’est envoyer un désir vers une personne qui le renvoie, transformé, à la caméra.

Alain Cavalier, c’est un regard de conteur, mais pas comme le « il » dans les livres. A l’évidence, c’est lui désormais la caméra, celle qu’il tient dans ses mains. Il est passé dans sa carrière du « il » au « je », se servant de tout, filmant comme il vit, mélangeant l’arrêté et le mouvant. La censure, il l’évite, il aime la transgression. Elle n’a pas sa place sur un tournage, c’est une affaire de montage. Pour Cavalier, filmer c’est envoyer un désir vers une personne qui le renvoie, transformé, à la caméra. Il prend le temps… Puis il sent que tout se dérobe, qu’à partir d’un moment le réel ne lui appartient plus. Là, il conduit le film vers sa conclusion. La tentation de disparaître, l’anonymat, pour vivre, c’est ne plus filmer. Filmer encore, c’est lutter contre cet attrait. Dire au spectateur : « Je te parle de moi parce que c’est la seule chose que je connaisse, que je puisse bien filmer. Je te parle de moi parce que je risque de te croiser à certains moments du film. »