Alfredo Aceto

Autodidacte, Alfredo Aceto a suivi un Bachelor en Arts Visuels à l’ECAL. Il vit maintenant entre Genève et Paris, où la galerie Bugada & Cargnel le représente. Entretien débridé sur ses inspirations comme sur le marché de l’art.

Propos recueillis par Marc Camponovo et Christelle Kahla
Bachelor Arts Visuels

Portrait d’Anaïs Leu
Bachelor Photographie

OfflineTon intérêt pour l’art est né d’une obsession maladive pour deux artistes femmes, Sophie Calle et Paola Pivi. Pourquoi ces femmes et qu’est-ce que leur rencontre t’a apporté ?

A. Aceto Je ne crois pas que ce soit important que ce soit deux femmes, surtout que pour Paola Pivi, je n’ai eu aucune obsession. Maintenant, je pense que dans l’art s’il n’y a pas quelque chose de maladif, ce n’est pas très intéressant.

OfflineTu as sacralisé ces deux femmes artistes dans un monde de l’art plutôt machiste. Que penses-tu de la position de femme artiste dans le milieu de l’art aujourd’hui ?

A. Aceto Je pense que je suis un féministe acharné ! Je suis très respectueux du rôle de la femme dans le monde, mais très sarcastique aussi sur l’importance de son rôle dans l’art aujourd’hui, vu que les femmes artistes sont très présentes dans le monde de l’art.

OfflineMais il y a quand même moins de femmes ?

A. Aceto Non, non, il y en a beaucoup, et heureusement !

OfflineCe serait une question qui n’a plus lieu d’être ?

A. Aceto Dans le monde extérieur à l’art, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup. Mais dans le monde de l’art d’aujourd’hui, c’est très à la mode de parler du féminisme, comme c’est très à la mode de parler des vieux artistes oubliés, qui doivent être « relancés ». Ce sont des stratégies purement commerciales, aux fins desquelles les femmes devraient se méfier d’être utilisées…

OfflinePourquoi as-tu décidé de rentrer dans une école d’art, plus particulièrement à l’ECAL, alors que tu avais déjà exposé et participé à des résidences ?

A. Aceto Parce que j’avais beaucoup de pulsions, d’obsessions très fortes dans ma vie… que je transposais naturellement en faisant de l’art, mais sans trop de rigueur.

L’école ne sert qu’à donner des barrières à un volcan un peu trop explosif. Si l’école sert à créer un volcan, ça ne marche pas, selon moi.

OfflineSelon toi, est-ce important aujourd’hui de faire une école d’art pour devenir artiste ?

A. Aceto Paradoxalement, je pense que si quelqu’un est vierge en art, mais qu’il s’y intéresse, il n’y a aucune raison pour qu’il fasse une école, qui ne sert qu’à donner des barrières à un volcan un peu trop explosif. Si l’école sert à créer un volcan, ça ne marche pas à mon avis. Certains étudiants font une école pour qu’on les fasse devenir artistes, non ? Je pense que si on n’a pas déjà cette pulsion, une école ne peut que créer des problèmes ; dans ce cas-là, mieux vaut faire de l’histoire de l’art.

OfflineAprès l’ECAL, tu as fait deux résidences artistiques : Residency Unlimited à New York, en 2014, puis le Centre d’art contemporain de Genève en 2015. Qu’est-ce que ces expériences t’ont apporté et comment influencent-elles ta production artistique ?

A. Aceto J’aime pas trop aller en résidences, car il s’agit souvent de « parkings pour artistes », où l’on passe six mois à ne rien faire et lâcher : « c’est très compliqué », tout en faisant semblant d’être très occupé – sauf pour les deux que tu cites. La première que j’ai faite, c’était bien parce que ça se passait à New York, mais au niveau du travail, c’était un peu mou. Ensuite, au Centre d’art contemporain de Genève, ça a été la première résidence grâce à laquelle mon travail a vraiment évolué. J’ai pu réaliser un livre avec Andrea Bellini et JRP|Ringier qui est le résultat de plusieurs mois d’entretiens. J’y ai monté deux expositions et rencontré des artistes extraordinaires comme Giorgio Griffa ou Ernie Gehr. Ceci dit, à part ce cas chanceux à Genève, je pense qu’un artiste aurait intérêt à travailler plutôt que passer du temps dans des résidences. J’ai l’impression que le travail évolue mieux quand il n’y a pas de cadre imposé par une structure. Quand on construit tout seul son propre fonctionnement.

OfflineTon travail est très hétéroclite du fait de la grande diversité des médiums que tu utilises. D’où te viennent les idées et comment appréhendes-tu le passage à la réalisation de tes pièces ? Est-ce que le rendu final t’importe, ou est-ce davantage le processus ?

A. Aceto Vu mon âge, 24 ans, c’est compliqué de donner une réponse définitive ! Mais après la résidence à Genève, j’ai un peu mieux compris pourquoi je faisais certaines choses : j’aimerais réussir à créer le paysage mental des obsessions et des lieux – entre réalité et fiction – que j’ai dans la tête depuis que je suis tout petit. Donc il y a cette ville abandonnée en Ukraine, des figures mythiques comme Sophie Calle ou Paola Pivi, des techniques de mémoire liées à plusieurs lieux, et au premier lieu où j’ai exposé. Disons qu’il y a plusieurs endroits qui contribuent à créer une forme narrative. Je pense que si un jour je réussis à marcher dans ce que j’ai dans ma tête pour de vrai, j’aurai réussi quelque chose. Et surtout, réussir à faire marcher les autres dans cet endroit, c’est, je crois, un assez haut niveau de partage des émotions.

OfflineTout est allé très vite pour toi. Tu n’as que 24 ans, mais tu as déjà réalisé de nombreuses pièces et acquis beaucoup d’expérience. Quel conseil donnerais-tu aux jeunes voulant se lancer dans l’art ?

A. Aceto Pour moi, ce n’est pas tant une question d’âge que de temps et d’endurance : combien de temps tu arrives à résister. Un conseil ? Simplement de rechercher l’art, de se méfier énormément du milieu de l’art en tant que lifestyle, des formes esthétiques à la mode, et ne faire confiance uniquement, seulement et toujours qu’aux sentiments les plus profonds, sans jamais faire de compromis.

OfflineComment finances-tu ton travail ?

A. Aceto Par la vente des pièces, et je travaille avec une galerie à Paris qui soutient mon travail. J’ai aussi quelques collectionneurs avec qui j’ai un rapport privilégié, mais souvent je le finance moi-même par la vente de pièces. Ce qui est important pour un artiste, c’est qu’il essaie d’assumer lui-même ses pièces pour être libre de gérer tout seul son travail. J’ai auparavant fait l’erreur de me faire financer par d’autres et donc d’être, d’une certaine façon, dépendant de ces personnes. Il faut être le plus possible libre de tout.

OfflineSur quel projet travailles-tu en ce moment ?

A. Aceto Je travaille sur des équivalences temporelles, qui parlent de mon expérience personnelle et qui vont ailleurs. Par exemple, je suis en train de faire des fouilles archéologiques en Roumanie pour étudier la civilisation qui existait exactement là où est la ville abandonnée sur laquelle j’ai travaillé entre 2005 et 2007. C’est une ville sous laquelle, en 5500 avant J.-C., il y avait cette civilisation, donc c’est une sorte de volonté de creuser en dessous du lieu qui a caractérisé ce paysage mental de mon adolescence. Ce sont donc des bribes archéologiques qui remontent à la surface. Je travaille également sur des remakes de peintures sur cette ville abandonnée que j’avais faites en 2005 et que je refais en gravure.

OfflineOù te vois-tu dans vingt ans ?

A. Aceto Je ne sais pas, je ne me vois même pas demain matin. J’espère que tout ira bien dans vingt ans, la santé, tout…

OfflineAvec quel·le artiste voudrais-tu passer la nuit ?

A. Aceto Là ? Ça enregistre toujours ? Je ne sais pas. Les artistes sont complètement asexués pour moi, donc si c’est pour le faire… Je n’ai aucune attraction… mais c’est une connerie ce que je dis. Avec tout le monde et n’importe qui ! Si quelqu’un est sexy, je suis content de passer du temps avec.

OfflineFaut-il coucher pour réussir dans l’art ?

A. Aceto Il y a des cercles où les gens couchent pour réussir. Ces cercles correspondent plus ou moins aux gens qui suivent les modes et qui n’ont pas de souci à se prostituer. Je n’approuve pas forcément, mais on est habitué à pire. Disons que c’est peut-être l’aspect le moins problématique de l’existence de ces gens.

Il faut essayer de s’éloigner de la pourriture du lifestyle, de ces gens qui en fait n’aiment pas l’art, ils ne sont pas là pour ça. Ils se sont trompés, ils auraient dû faire de l’événementiel !

OfflineQue penses-tu du marché de l’art contemporain ?

A. Aceto Je pense que c’est un système dans lequel on trouve beaucoup de choses pas trop excitantes. On condamne souvent le marché, mais en fait il est souvent plus sain que certains environnements de jeunes curateurs ou de jeunes artistes, qui ne parlent jamais d’art et que de marques de fringue. Donc c’est encore plus pourri que le marché, qui est en fin de compte quelque chose d’assez abstrait ; tu ne peux pas donner vraiment un visage au marché, c’est juste une forme de régulation, mais un artiste peut d’une certaine façon s’en foutre du marché si son travail y est injecté de façon saine. Il y a des artistes qui ne savent même pas ce que c’est, même s’ils sont dans le marché. Il faut essayer de s’éloigner de la pourriture du lifestyle, de ces gens qui en fait n’aiment pas l’art, ils ne sont pas là pour ça. Ils se sont trompés, ils auraient dû faire de l’événementiel !

OfflineLes relations publiques sont-elles l’essence de l’art contemporain ou sa ruine ?

A. Aceto Je ne sais pas. Je fais pas mal de RP parce que j’aime bien sortir, dîner et rencontrer des gens. Souvent, les gens me disent que je fais ça pour réussir, mais je crois que c’est juste naturel. Je travaille de manière très isolée, je peux passer des mois seul. Mais après, si je suis à Paris ou à Londres, je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas sortir.

OfflineLes foires d’art ont quelque chose de très pervers. Comment envisages-tu cela ?

A. Aceto Oui, c’est pervers, les foires. Mais là aussi j’ai toujours l’impression que je suis dérangé par le système de l’art, je ne comprends pas ce que beaucoup de gens font là. C’est beaucoup de gossips pour rien ! Après, Romeo Castellucci dit qu’aujourd’hui on vit dans un désert fait d’une saturation d’images, et je crois qu’il a raison. On est dans un désert fait d’images et d’artistes, et dans ce désert, il y a toujours quelques histoires incroyables et des artistes qui changent ta journée et ta vie, et ça, c’est une expérience merveilleuse. Après, je regarde les deux qui prennent leur café [en parlant de deux étudiants assis à la cafétéria], ce genre d’attitude-là au sein du monde de l’art, c’est juste de l’APC, du Our Legacy, c’est vraiment… cool ! (Rires)

Alfredo Aceto, NGC 6543, 2013. Courtesy the artist and Bugada & Cargnel, Paris. Séparation des couleurs par Color Library
Alfredo Aceto, NGC 6543, 2013. Courtesy the artist and Bugada & Cargnel, Paris. Séparation des couleurs par Color Library
Alfredo Aceto, NGC 6543, 2013. Courtesy the artist and Bugada & Cargnel, Paris. Séparation des couleurs par Color Library